Vincent Lindon joue l’Auguste Rodin

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Rodin - Jacques Doillon
Rodin - Jacques Doillon

Rodin suscite les controverses, cumule les poncifs et peut aisément fasciner tant il alimente les idées reçues inhérentes à l’élaboration de sa légende.” Véronique Mattiussi

À Paris, en 1880, Auguste Rodin reçoit enfin à 40 ans sa première commande de l’Etat : ce sera La Porte de L’Enfer composée de figurines dont certaines feront sa gloire comme Le Baiser et Le Penseur. Il partage sa vie avec Rose, sa compagne de toujours, lorsqu’il rencontre la jeune Camille Claudel, son élève la plus douée qui devient vite son assistante, puis sa maîtresse. Dix ans de passion, mais également dix ans d’admiration commune et de complicité. Après leur rupture, Rodin poursuit son travail avec acharnement. Il fait face au refus et à l’enthousiasme que la sensualité de sa sculpture provoque et signe avec son Balzac, rejeté de son vivant, le point de départ incontesté de la sculpture moderne.

Revêtir la robe su sculpteur par Véronique Mattiussi la responsable du fonds historique au musée Rodin

La mise en œuvre cinématographique d’un personnage historique appartient d’un bout à l’autre de la chaîne au réalisateur. Elle est conditionnée par la perception qu’il en a et par l’idée qu’il veut en donner. Mais comment accompagner en tant que musée, conservateur de l’œuvre et détenteur du droit moral de l’artiste, un tel projet ?

La rencontre

Rodin suscite les controverses, cumule les poncifs et peut aisément fasciner tant il alimente les idées reçues inhérentes à l’élaboration de sa légende. Ce seul véritable écueil redouté par le musée fut aussitôt éliminé à la lecture du manuscrit de Jacques Doillon dès sa première version. Force était de constater que le réalisateur ne s’était privé d’aucune lecture parmi la littérature abondante pour comprendre l’œuvre du sculpteur et disséquer sa vie. Sa finesse d’analyse associée à ses exigences artistiques lui avait permis d’approcher au plus près la vérité de l’homme. Dès lors la collaboration s’imposa d’elle-même et l’échange spontané promettait d’être fructueux. Il le fut. La vision très précise de Jacques Doillon l’incitait à ne négliger aucun détail et en ce sens à profiter en premier lieu de l’expertise scientifique du musée afin d’éviter tout anachronisme. Mais la force d’un musée monographique tel que le musée Rodin est de rassembler une source inestimable d’informations et de ressources, souvent insoupçonnées et forcément attractives aux yeux d’un réalisateur tel que Jacques Doillon. En ce sens l’expertise apportée par le musée s’imposa, s’improvisa et s’organisa toujours pour répondre à ses attentes et à celles de ses collaborateurs.

Des ressources insoupçonnées

Ainsi le fonds photographique fut largement exploité pour aider au casting de tous les personnages, collecter les informations sur les costumes de ville et les tenues d’atelier, identifier les matières et mesurer l’encombrement des divers lieux de travail, où chaque élément, chaque outil ou accessoire significatif du métier fut soigneusement relevé afin de participer au décorum de l’atelier. Ainsi, costumiers, décorateurs et régisseurs étudièrent à la loupe chacune de ces sources pour lesquelles aucun détail ne fut négligé. Les images furent également mises à l’épreuve pour respecter la chronologie de la Porte de l’Enfer en train de s’échafauder.

La transformation

Au même moment, Vincent Lindon se familiarisait avec l’étendue de « son » œuvre, arpentant chaque lundi le musée de Paris ou les réserves de Meudon. Des heures et des heures de discussion, destinées à infuser l’alpha et l’oméga de sa vie et de son œuvre. Plus nombreuses encore furent les heures consacrées à l’apprentissage du métier. Des cours particuliers de sculpture, de modelage lui permirent d’affronter la matière et d’intégrer naturellement la gestuelle. « Le plus motivé de tous ses élèves » selon le témoignage de son professeur, Hervé Manis. Cette démarche semble elle aussi s’être imposée de façon naturelle au point d’apparaitre indispensable à l’acteur soucieux de revêtir avec crédibilité la robe du sculpteur. Et toute barbe naissante, il fit en sorte que le miracle opère et que se mêle à la ressemblance physique la psychologie de l’homme. Tous deux pétris de liberté, il faut dire que l’acteur dispute au sculpteur un même instinct animal, un fonctionnement intuitif analogue, un goût de l’effort partagé jusqu’à une obstination de réussite vertement déclarée. Un savant dosage de violence et de douceur pour un seul et même tempérament, rude et caressant, et une ambiguïté créatrice bien sentie qui signe un portrait moral lucide et profond. En résumé le musée s’attacha à répondre aux attentes précises de la production, tout en découvrant en temps réel les besoins d’un projet historiquement ambitieux et ses contraintes cinématographiques. La motivation du musée sûrement renforcée par le désir de participer, à sa façon, à une aventure exceptionnelle tout en servant le projet, fut récompensée tant Jacques Doillon, parvient avec sincérité à appréhender l’intériorité du statuaire, le tourment du génie et son moi dévastateur. L’écriture aussi personnelle que poétique du scénariste sert ici miraculeusement le récit authentique de l’itinéraire d’un artiste horsnorme.

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Comment avez-vous cheminé jusqu’à Rodin ?

Jacques Doillon : C’est accidentel. Lorsque mon film précédent, Mes Séances de lutte, est sorti, deux producteurs de documentaires m’ont contacté pour me dire qu’il leur avait fait penser à Rodin. Comme la célébration du centenaire de la mort du sculpteur se profilait, ils m’ont proposé d’envisager la réalisation d’un documentaire sur lui. Je connaissais son œuvre, mais sans plus. J’avais été quelquefois au musée, voilà tout. J’ai accepté dans un premier temps, mais assez vite, j’ai imaginé des scènes de fiction pour mieux « faire revivre l’animal ». Au fur et à mesure de l’écriture, la fiction a pris de plus en plus de place, et je me suis aperçu que je n’étais pas intéressé ou capable de faire un film documentaire, qu’il me fallait des comédiens. J’ai donc décliné cette offre et j’ai continué à écrire, en me documentant, des scènes de « fiction ». La première écriture terminée, je suis allé voir Vincent Lindon à qui le projet a plu. Vincent a mis en marche la machine : Kristina Larsen a souhaité le produire, et voilà… !

La dimension physique et sensuelle de Mes Séances de lutte fait écho à l’œuvre très charnelle de Rodin…

Jacques Doillon : C’est qu’au cinéma, on est sur les visages et sur le verbe, mais les corps n’expriment souvent pas grand-chose, ils m’apparaissent fréquemment comme morts. J’ai toujours voulu que les corps de mes personnages parlent aussi. Il faut dire que l’on désire tourner aussi avec des acteurs dont on aime la façon de « bouger », la manière dont leurs corps s’expriment. Là, on se rapproche de Rodin : ses corps parlent énormément, et que l’on ait pu penser à moi pour un film sur lui ne me semble pas complètement incongru.

Vous montrez Rodin comme un être sensible à la nature, aux arbres, qu’il touche volontiers.

Jacques Doillon : Depuis longtemps, j’aime toucher et tripoter les arbres. J’en plante tous les ans. Je les regarde grandir et j’admire leurs dessins, leurs veines, les torsions de certains noisetiers tortueux, la mue de l’écorce d’un bouleau. C’est quelque chose ! Utiliser le mot sensualité ne me paraît pas excessif, alors penser que Rodin ne les a pas caressés aussi me semble inimaginable.

Le toucher, le vivant et la chair sont au cœur de ce film…

Jacques Doillon : Oui, c’est la vie qui m’importe et qui l’emporte. C’est la raison pour laquelle j’ai besoin d’être surpris sur un tournage pour que la vie jaillisse. Je n’aime donc pas beaucoup les repérages, et quand j’arrive sur le plateau, je n’ai pas d’idées préconçues sur ce que je vais faire. On a la scène, les dialogues, mais la manière dont les comédiens vont bouger dans la mise en place que j’improvise, ça, je ne veux pas le savoir à l’avance, sinon c’est de l’exécution, la façon dont on va s’amuser à chercher la bonne musique et la crédibilité de la scène, c’est comme chercher la forme dans la glaise. Même chose pour l’écriture : je ne sais pas où je vais, j’avance de scène en scène sans plan préalable. Il faut également une vie de l’écriture, qu’elle trouve son chemin, et les personnages aussi.

Comment Vincent Lindon a-t-il travaillé les gestes de Rodin ?

Jacques Doillon : Vincent a pris très au sérieux l’obligation de savoir manipuler la terre, et a suivi un grand nombre de cours avec un sculpteur. Comment travaillait exactement Rodin ? Nul ne le sait. Il y a beaucoup de livres d’historiens sur lui, mais il n’existe pas de témoignage de proches collaborateurs qui le décrivent au travail. Il existe un petit film de Sacha Guitry sur lui, mais on le voit avec un burin en train de taper sur de la pierre. C’est comique et Rodin en sourit d’ailleurs lui-même.

Vincent Lindon est un acteur très physique. Son « ancrage au sol » était-il important pour vous ?

Jacques Doillon :  Lorsqu’on regarde les sculptures de Rodin, on a le sentiment que beaucoup ont vraiment pris racine dans la terre. En simplifiant, ce sont soit des œuvres très ancrées dans le sol, soit qui aspirent à l’envol. Son Iris, messagère des dieux, elle vole ! Comme son Nijinsky qui, lui, y aspire. Mais Les Bourgeois de Calais ou le Balzac, eux, sont indéracinables. Vincent Lindon appartient plutôt à cette dernière catégorie. Dans la scène où la jeune Anglaise vient informer Rodin que Camille est partie en Angleterre, Vincent était légèrement à contre-jour, avec les jambes écartées dans un plan assez large, comme un taureau massif qui va entrer dans l’arène. Curieusement, un peu plus tard, j’ai trouvé un dessin de Bourdelle représentant Rodin exactement dans cette position. Vincent était devenu Rodin, je comprends qu’il n’ait pas pu refuser le rôle, parce que Rodin, c’est Vincent. Définitivement.

Pourquoi Izïa Higelin dans le rôle de Camille Claudel ?

Jacques Doillon : Elle s’est imposée à moi, car je voulais de la jeunesse et de la gaieté pour interpréter Camille Claudel. Je ne voulais pas la plomber d’entrée. Je ne l’avais pas vue jouer et ça m’allait bien. Je retrouvais les gènes virevoltants du père, avec qui j’avais travaillé vingt ans plus tôt. Elle avait une belle intensité, et une joyeuse vivacité ; ça me semblait très bien coller au personnage de Camille, à sa fantaisie joyeuse qui a tant séduit Rodin et à son exaltation qui pouvait vite tourner à l’orage. Elle a été une évidence tout de suite pour moi.

Avez-vous tourné dans des décors authentiques ?

Jacques Doillon : Nous avons tourné à Meudon, dans la maison de Rodin, dans sa chambre et dans sa salle à manger. Le grand Christ espagnol que l’on voit dans sa chambre était le sien. Pour le reste, on n’a pas toujours pu utiliser des maquettes, trop fragiles, et des sculptures authentiques. On a donc fait faire des reproductions par de très bons sculpteurs. À Meudon, le Balzac s’est déplacé de la salle où il est exposé jusqu’au premier atelier de Rodin. Et pour celui qui est en extérieur, on a fait une reproduction qui est aujourd’hui dans mon jardin. Je m’assieds parfois à ses côtés pour discuter avec lui ! Il me charge de vous dire que l’air normand lui va bien et qu’il ne se lasse pas de voir passer les trains

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Sorti en salles mercredi, le même jour que son passage en compétition au Festival de Cannes, l’œuvre de Jacques Doillon divise la critique.

Revue de presse :  

« Rodin » laisse de marbre pour La Croix.Jacques Doillon, en compétition au Festival de Cannes, pétrit une série de scènes ennuyeuses, un film inaudible, sans chair, ni émotion, classique, académique, amidonné.

Cannes 2017: Vincent Lindon, un Rodin très incarné” pour Marie-Noëlle Tranchant du FigaroL’acteur interprète avec intensité le sculpteur à sa maturité, au temps de sa liaison avec Camille Claudel” “Rien de spectaculaire dans ce Rodin de cinéma. Rien même de vraiment dramatique. C’est un homme au travail. Mais quel homme, et quel travail!

Rodin : Vincent Lindon sculpta jusqu’au bout de l’ennui” sur LCI ”  “Rodin” de Jacques Doillon offre à Vincent Lindon un écrin de choix pour une nouvelle performance d’acteur impressionnante. La mise en scène, trop classique, plombe hélas ce vrai-faux biopic du sculpteur de légende.

Vincent Lindon: «Je me sens si petit par rapport à l’immensité du personnage de Rodin»  dans 20 minutes.

Vincent Lindon dans Rodin : “Je suis fou de ce film” dans culturebox

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Jacques Doillon sur la plage Magnum