Sous le signe de Bataille : Masson, Fautrier, Bellmer

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Dans le logis principal, espace de présentation de la collection permanente. Au rez-de-chaussée, la salle des années 1920 (peintures de Lurçat, Marcoussis, Ozenfant, Dufy) situe les enjeux esthétiques que découvre Christian Zervos quand il entreprend L’Art d’aujourd’hui et Arts de la maison pour les éditions Albert Morancé, avant de lancer sa propre revue Cahiers d’art en 1926.

Dans la salle de sculpture, confrontation d’oeuvres exceptionnelles d’Henri Laurens et d’Alexander Calder. Dans la salle Picasso, peintures et gravures de Pablo Picasso ainsi que des sculptures de Gonzalez et de Calder.

Au premier étage, dans la salle des années 1930, juxtaposition d’importantes oeuvres d’Alberto Giacometti, Max Ernst, Kandinsky, Hélion, Hartung, Miro. Passage des années 1940 : peintures de Lam, de Victor-Brauner.

Salle des années 1950, peintures de Nicolas de Staël, Jacques Villon, peintures et sculptures de Giacometti… Chambre-cabinet de travail de Romain Rolland. Les combles, présentent les éditions des Cahiers d’art et la collection archéologique (idoles et objets des Cyclades, et fragment de Kouros)

PARCOURS DE L’EXPOSITION SOUS LE SIGNE DE BATAILLE

L’exposition est principalement installée dans la maison du jardinier où la première salle est consacrée à André Masson. Une suite de dessins réunis par un collectionneur dont la poursuite d’une certaine qualité crée un lien entre les pièces exposées. La seconde, à Jean Fautrier accuse un net contraste entre les premières manières du peintre : les tableaux et dessins retenus traitent d’un seul thème : la femme meurtrie ou agressivement nue puis surgissent les espiègleries érotiques et burlesques rapidement griffonnés sur le papier qui servirent à graver les vignettes des textes de Bataille.

L’exposition trouve son écho au premier étage du logis principal. Dans la salle des années 30, Métamorphose, tableau peint en 1928-29 par André Masson, est par son format, sa construction et son expressionnisme, en parfaite harmonie entre surréalisme et abstraction auprès de Malgré les mains de Giacometti, 1932, La Sauterelle de Max Ernst, 1934, Formes noires sur blanc, de Kandinsky, 1934.

S’il fallait retenir au musée Zervos un tableau en hommage à Bataille, ce pourrait être cette Métamorphose de Masson qui accentue cette surprenante confrontation esthétique. Dans la vitrine, sont présentées les gravures de Sacrifices, éditées par Guy Lévis Mano en 1936.

Le Monstre rouge de Hans Bellmer trouble l’habituelle sérénité de la salle des années 50. Les dessins provocateurs ou non sont à l’abri de la lumière dans la grande vitrine, réservant aux curieux leur charge érotique.

Hans Bellmer et Georges Bataille: rencontre et collaboration

C’est surtout la réédition d’Histoire de l’oeil qui fait l’objet de toutes les attentions d’Hans Bellmer. Au début de l’année 1947, Hans Bellmer rencontre enfin Georges Bataille avec lequel il avait correspondu depuis presque deux ans pour mettre au point une nouvelle édition. Les six gravures érotiques qu’il dessine alors entrent en résonance avec le sulfureux texte de Bataille dont la police française n’hésitera pas à détruire la plus grande partie du tirage.

Une seconde collaboration en 1949 aura pour objet Justine ou les Malheurs de la vertu du marquis de Sade pour les Presses du Livre français. Hans Bellmer ornera l’ouvrage d’un céphalopode sur papier rose en frontispice tandis que Georges Bataille en écrira la préface. Par la suite, la complicité des deux créateurs se confirmera dans l’illustration d’un livre érotique de Pierre Angélique (pseudonyme de Bataille), Madame Edwarda, qui ne paraît avec les douze cuivres de Hans Bellmer qu’en 1965 chez Visat, soit trois ans après la mort de l’écrivain et vingt-cinq ans après la première édition.

Lorsqu’en 1955 Georges Bataille reprend le manuscrit de Madame Edwarda pour en faire l’édition corrigée, Bellmer s’adonne à des variations sur le thème des deux filles furtives dans l’escalier d’un lavabo* qui ouvre le texte. Cela confirme le mobilier de la maison close (lavabo, miroir, lit, etc.) comme l’attribut des jeunes filles depuis Histoire de l’oeil.

La gémellité entre également au coeur d’un dispositif érotique de la surenchère et les dessins préparatoires qui sont élaborés sur plus de dix années appuient le leitmotiv du double et de la duplication des corps. Le dessin de 1957 Les Deux Soeurs, en est un bel exemple. Bataille et Bellmer ont donc partagé des univers semblables mêlant l’érotisme à la mort dans le même souci de créer une poétique de l’indicible et du sacré.

L’érotisme chez Hans Bellmer (1902 – 1975)

Célébré pour les dessins et les photographies de La Poupée, où le corps est sujet à toutes les expériences, le dessin Rose au coeur violet * présenté au musée Zervos, montre une jeune fille fouillant dans ses entrailles à la recherche d’une réponse à sa propre constitution.

Il y a dans l’oeuvre dessinée de l’artiste un aspect équivoque puisque ce sont toujours des filles très jeunes qui sont dessinées. Mais si la puissance et la finesse du trait, l’érotisme, l’imagination débordante de Bellmer semblent emporter l’adhésion, le côté malsain de Bellmer continue de gêner. Il reste avant tout un dessinateur de génie, capable de trouver des formes incroyables, “dont la surprise et la réalité dépasseraient pour ainsi dire l’imaginable”.

Christian Derouet, conservateur du musée Zervos a assumé le commissariat de l’exposition et la direction du catalogue “Sous le signe de Bataille : Masson, Fautrier, Bellmer”. Inventeur des fonds Léonce Rosenberg, Fernand Léger, Vassily Kandinsky, Cahiers d’art, à la Bibliothèque Kandinsky du musée national d’art moderne au Centre Pompidou, il a été le commissaire de l’exposition Kandinsky au Centre Pompidou en 2009 et a publié Zervos et Cahiers d’art, archive de la Bibliothèque Kandinsky, aux Editions du Centre Pompidou en 2011.

GEORGES BATAILLE (1897-1962)

Le 10 septembre 1897, il naît à Billon (Puy-de-Dôme).
En novembre 1918, il est admis à l’École des chartes.
De 1922 à 194, il devient bibliothécaire à la Bibliothèque nationale.
En 1936, il habite 76 bis, rue de Rennes à Paris.
En 1941, il est atteint de tuberculose pulmonaire.
En disponibilité en avril 1942 pour raisons médicales, il se fait réinsuffler un pneumothorax.
En mai 1943, Bataille s’installe au 59 de la rue Saint-Étienne, à Vézelay avec sa fille et Denise Rollin.
Sylvia Bataille, sa première épouse et Jacques Lacan prévoient de les rejoindre.
Il publie avec Michel Leiris la seconde partie des Écrits de Laure : Histoire d’une petite fille.
En octobre, il rentre à Paris.
En juin 1945, il revient à Vézelay avec Diane Kotchoubey de Beauharnais, alias madame Snopko, rencontrée en 1943. Il y réside jusqu’en mai 1949. Par la suite, il y fait des séjours épisodiques.
En mai 1949, il est nommé conservateur en chef de la Bibliothèque inguimbertine de Carpentras.
En juin 1951, il est chargé de la Bibliothèque municipale d’Orléans.
Le 17 mars 1961, une vente de solidarité au bénéfice de Georges Bataille et de Pierre de Massot est dirigée par Me Maurice Rheims : tableaux et sculptures modernes, Paris, hôtel Drouot.
Le 9 juillet 1962, il meurt à Paris.
Il est inhumé au cimetière de Vézelay.

ANDRÉ MASSON (BALAGNY (OISE) 1896- PARIS, 1987)

Enfance en Belgique, formé au dessin pour broderie. Mobilisé, blessé au chemin des Dames en 1917.

En 1922-23, il pénètre le cercle du marchand Daniel Henry Kahnweiler, directeur de la galerie Simon. Il se lie avec Max Jacob, Elie Lascaux, Michel Leiris et Georges Limbour.

En 1934, il se fixe en Catalogne à Tossa de Mare. Liens par alliance de famille et d’amitié avec Georges Bataille. Les deux hommes se retrouvent là, près de Montserrat et créent le personnage mythique Acéphale. Au moment de l’exode, en 1940, il s’isole à Freluc, en Auvergne. Puis il gagne Marseille, traverse en 1941 l’Atlantique en compagnie d’André Breton. Il passe quelques semaines en sa compagnie aux Antilles puis débarque à New York pour se fixer dans le Connecticut. Là avec Curt Valentin et les éditions Wittenborn, il s’occupe de réaliser ses propres livres, les mythologies. Ce long interlude loin de Bataille s’achève avec son retour en France en 1945.

JEAN FAUTRIER (PARIS 1898 – CHATENAY-MALABRY (HAUTS-DE-SEINE), 1964)

Initié à la peinture à Londres, mobilisé en 1917, blessé. Il s’établit peintre réaliste à Paris, dans la mouvance anti-avant-garde à la Derain, suivi par Jeanne Castel et son mentor Paul Guillaume. A une manière noire succèdent des peintures évasives plus claires moins agressives. La crise le contraint à interrompre sa carrière d’artiste. La guerre le ramène à Paris, où se sentant menacé il s’enferme à l’ombre de Félix Fénéon et de Jean Paulhan dans une pension psychiatrique dirigée à Chatenay-Malabry par le Docteur Le Savoureux.

René Drouin expose en 1943, son ancienne manière et les prémices de sa peinture en pâte.

C’est à ce moment que la librairie Blaizot avance la proposition d’illustrer les petits romans érotiques de Georges Bataille, Madame Edwarda et L’Alléluiah. Jean Paulhan qui risque ses premières réflexions sur Sade, confie aux deux premières livraisons de la revue éphémère Variété le premier jet de son Fautrier l’enragé.

Puis Drouin obtient au peintre un franc succès en exposant Les Otages, peintures et sculptures de Fautrier en octobre-novembre 1945, préfacé par André Malraux.

HANS BELLMER (KATOWICE, ALLEMANDE A L’EPOQUE, 1902 – PARIS, 1975)

Formé au dessin technique, attiré par Georg Grosz, Bellmer le suit à Paris en 1926 pour un bref séjour.

En 1934, il confie à Ursula Naguschewski, sa jeune cousine, des photographies de Die Puppe à l’attention des surréalistes. Il retient l’attention de Paul Eluard. Henri Parisot lui fait découvrir Sade, Lautréamont…

En 1938, il s’installe à Paris et en 1939 il publie un minuscule ouvrage avec des calligraphies de Georges Hugnet, OEillades ciselées en branche, dont Jeanne Bucher accepte d’être l’éditrice.

Puis avec la déclaration de la guerre, c’est l’internement au camp des Milles, avec Max Ernst et d’autres allemands de Paris ; ensuite, les routes de Forcalquier à entretenir en service commandé et surveillé. Son établissement à proximité de Carcassonne, un mariage providentiel pour un étranger menacé, se révèle catastrophique.

A la libération, il lui est donné d’illustrer de six eaux-fortes Histoire de l’oeil de Bataille.

  • Exposition jusqu’au 15 novembre 2012

Musée Zervos – Maison Romain-Rolland