Richard Bennaim : Le Journal du Soldat Juif

Richard Bennaïm nous livre ici son premier livre,  Le Journal du Soldat Juif. Industriel textile partageant sa vie entre Paris et sa fabrique italienne de Perugia, la mort de son père en 2004 le lance à écrire l’enfance juive algérienne (1915-1938) et la Deuxième Guerre mondiale (1938-1945) telles que vécues par Albert Bennaim. Pas moins de onze ans ont été nécessaires pour restituer dans leur contexte historique tous les différents éléments du puzzle.

Deux sources alimentent ce récit : d’une part, les entretiens du fils avec son père, pendant les dix dernières années de sa vie et qui sont ponctués de souvenirs précis, et d’autre part un journal de guerre manuscrit retrouvé peu de temps avant son décès.

« Je me souviens, mon frère et moi étions très jeunes, à peine plus de seize ans. Un soir à table, après dîner, mon père était allé chercher un vieux cahier jauni, dans son coffre-fort dissimulé derrière un miroir se soulevant, dans une petite pièce à l’entrée de notre grande maison. Il nous demanda si nous voulions qu’il nous raconte sa guerre et sans attendre, il commença sa lecture… » raconte l’auteur.

C’est à une « odyssée » que nous convie ce livre,  celle d’un jeune Français, né à Oran en 1915, dans une modeste famille juive, et qui se trouve forcé de travailler dès l’âge de 11 ans dans la boucherie familiale. Engagé volontaire à l’âge de 19 ans pour faire son service militaire en France, c’est à ce moment là que commence son journal du Soldat Juif.

De l’ évocation émouvante de l’Oran des années 30, le lecteur plonge dans le périple de l’apprentissage du métier militaire du jeune homme pour être ensuite brutalement précipité dans le chaos de la Seconde Guerre Mondiale. Il comprend comment les projets d’évasions, qui habitent le héros dès son arrivée dans les Stalags d’Allemagne, lui apprennent à « s‘en sortir », leçons qu’il n’oubliera plus jamais…

Octobre 42, retour en France vichyste, puis en Algérie où les Juifs, déchus de leur nationalité, sont redevenus des « indigènes ». Il attrape le typhus dont il guérit miraculeusement. Malgré le débarquement américain, comme la plupart des soldats juifs sur décision du Général Giraud, il est envoyé à Bedeau, un camp de concentration, conçu avec l’aide des Allemands, qui préfigurait l’élimination physique des Juifs d’Afrique du Nord. Un livre précieux car révélateur de cet épisode peu abordé dans les livres d’histoire sur l’existence et la brutalité des camps d’internement pour les soldats Juifs en Algérie.

En 1943, nouvelle évasion de notre soldat, qui part rejoindre les Forces Françaises du Général Juin et embarque sur les navires de guerre américains, avant de se diriger vers l’Italie. A Naples, où il est affecté à l’approvisionnement des troupes anglo-américaines, de nouvelles péripéties l’attendent et il observe avec un mélange de passion et d’humour les magouilles des Napolitains pour survivre, mais aussi celles des Napolitaines, la mafia, les pillages…En 1945, retour en France, puis en Algérie jusqu’à la Libération.

Un livre passionnant qui se dévore par son style entrainant et fluide,  par la multiplicité des détails enrichissants,  et dont le héros, jeune homme avide de vie et de culture, apprend, en raison des circonstances, à réfléchir vite et bien pour prendre des décisions rapides, et de par sa clairvoyance, témoigne parallèlement de cet  « antisémitisme de l’évidence », ce mépris des juifs si naturel, si communément admis avant-guerre et d’un zèle tout particulier…

« Pourquoi ce titre ? Bien sûr d’abord parce que l’immense « Journal d’un soldat juif » de Simon Dubnov, et parce qu’à quiconque demandait ses origines à mon père, il répondait toujours « Juif Français d’Afrique du Nord et jamais Juif d’Algérie […] » commente Richard Bennaim, qui poursuit. « … lui qui se fichait bien des religions, partout où il allait on n’avait jamais de cesse que de lui rappeler ses origines. »

Un très bel hommage d’un fils à son père,  une inoubliable leçon de courage, un moment littéraire empli d’émotion et que complète un opus du spécialiste du judaïsme en Afrique du Nord, Joseph Toledano, qui met en perspective le contexte historique de la communauté juive en Algérie et plus spécifiquement à Oran.