Décédé brutalement en 1987, Pierre de Fenoÿl a laissé derrière lui une œuvre photographique des plus talentueuses.
Homme cultivé, il occupa de nombreux postes à responsabilité dans le domaine de la photographie tel archiviste-photographe pour les agences de presse Dalmas et Holmès-Lebel puis iconographe pour les éditions Rencontre avant de se retrouver à vingt ans archiviste d’Henri Cartier-Bresson. Il dirigea ensuite les archives de l’agence Magnum de 1966 à 1968 et fonda l’année suivante avec Charles-Henri Favrod la première galerie photographique parisienne, Rencontre, rue du Cherche-Midi et en devint le commissaire d’expositions (Brassaï, Tony Ray-Jones, Martine Franck, Gianni Berengo Gardin, Guy Le Querrec, Tom Drahos, Richard Kalvar, Jean-Noël Reichel, L’inde d’Edouard Boubat, René Burri, Magnum, Alain Perceval …).
Il s’occupa de faire reconnaître l’oeuvre de Jacques-Henri Lartigue, et participa à la création de l’agence Vu, d’où est issue Viva, avant de devenir correspondant new-yorkais de Photo-Magazine, puis acheteur d’art pour Publicis.
Pierre de Fenoÿl, Tarn, France
À tout juste trente ans, il était le premier directeur de la Fondation nationale de la photographie, créée à Paris ( “Leslie Krims – Duane Michals – Burk Uzzle”, “Robert Frank” et “Lee Friedlander”, Le photojournalisme” au palais Galliera, “Henri Cartier Bresson” à Lyon et à Marseille, “Les nus d’André Kertész” au Centre Georges Pompidou, “Diane Arbus” au MNAM etc…), puis, en 1978, il fut chargé de mission pour la photographie au Centre Georges-Pompidou, où il se consacra surtout à faire connaître la photographie comme expression à part entière. Il organisa de nombreuses expositions et publia des anthologies : en 1979, le premier Album photographique du Centre Pompidou, collection qui malheureusement ne survécut pas et en 1982, Chefs-d’oeuvre des photographes anonymes au XIXe siècle, chez Hachette.
Durant toutes ces années, Pierre de Fenoÿl a toujours poursuivi sa recherche artistique personnelle, portant à chaque instant son entière attention sur les lieux qu’il aimait, conjuguant lumière et vision.
Pierre de Feynol, Tarn,France
Photographier était pour lui synonyme de moments suspendus dans le temps, auxquels il se donnait corps et âmes, allant jusqu’à modifier le rythme de sa vie pour assurer le meilleur rendu possible de sa perception des choses. Ses photographies étaient emplies de sensibilité et d’émotions qu’il aimait à partager, Pierre de Fenoÿl les concevait non pas en terme de lumière et d’espace, mais comme un état de grâce au cours duquel le temps qui passe peut être saisi et immortalisé.
La photographie a attiré cet artiste dès son plus jeune âge. Lauréat de la Villa Médicis hors les murs en 1984, il part sur les traces de Flaubert et Maxime du Camp en Égypte et rapporte un travail personnel et complice, présenté au Centre Georges Pompidou, travail au grand pouvoir attractif, où grâce à la lumière d’Orient, les photos des légendaires monuments historiques sont aussi esthétiques qu’intemporelles.
Pierre de Fenoÿl, Louxor, Haute-Égypte
Il choisira ensuite de se retirer avec sa femme et ses deux enfants à Castelnau-de-Montmiral, dans le Tarn, où, pour le compte de la mission photographique de la DATAR, il réalise une exploration serrée et minutieuse des paysages du Sud-Ouest, établissant par ses photographies des rapports subtils entre les replis du terrain, les habitations, les végétaux, et créant une mystérieuse entente entre le sol et le ciel, balayés tous deux dans de belles compositions horizontales.
Jacques Damez, diplômé en histoire de l’art à l’EHESS, co-directeur et co-fondateur avec Catherine Dérioz de la galerie Le Réverbère à Lyon depuis 1981, vient de participer au livre sur l’artiste, « livre Pierre de Fenoÿl, Une géographie imaginaire », aux Éditions Xavier Barral, dont il parle en ces termes :
« Regarder les photographies de paysages de Pierre de Fenoÿl déstabilise et envoûte. Et étrangement, un sentiment de reconnaissance s’impose. C’est là un des tours de force du photographe. (…) L’œuvre de Pierre de Fenoÿl est discrète, elle est intime, elle ne cherche pas se faire remarquer, je dirais qu’elle se dresse contre l’opacité du visible. Le noir et blanc, matière de la réalité dont il est ici question, est la lumière entre son monde et nous, le lieu de son écriture. »
Pierre de Fenoÿl, Central park, New York
Cet ouvrage rétrospectif, accompagné de trois essais signés de Peter Galassi, Virginie Chardin et Jacques Damez, accompagne l’exposition éponyme au Jeu de Paume -Château de Tours du 20 juin au 31 octobre, et rend hommage à ce photographe si peu exposé de son vivant, lui conférant enfin ainsi la place qu’il se doit d’occuper sur la scène photographique française.
Pierre de Fenoÿl, Chemin de Croix de Saint Jean, Région de Lodève, France
La Galerie lyonnaise LE RÉVERBÈRE, pour la première exposition consacrée en 2012 à Pierre de Fenoÿl, (redécouverte de l’œuvre par la galerie,) intitulée Le miroir traversé, avait décidé de souligner ce qui fait «l’écriture» de ce photographe : sa puissance d’abstraction, le silence du temps installé dans chaque photographie, ne respectant ni chronologie, ni thématique mais choisissant d’y associer librement ses photographies pour que la qualité du trait de son regard apparaisse comme une évidence.
Pour cette deuxième monographie qu’elle présente en cet automne 2015, titrée “Paysages conjugués” (présentée en parallèle de la rétrospective conçue par Le Jeu de Paume au Château de Tours jusqu’au 31 octobre 2015), son choix s’est concentré sur deux grandes périodes de l’œuvre qui révèlent le “vocabulaire” plastique de Pierre de Fenoÿl : l’Égypte et la commande passée par la Datar sur le paysage français.
Pierre de Fenoÿl a écrit à plusieurs reprises que l’on ne prend pas une photographie mais qu’on la reçoit, ses œuvres ont fait de lui l’un des photographes contemporains les plus doués de ce qu’on appelle outre-Atlantique Straight photography (la « photographie pure »).
Une superbe exposition pour rendre hommage et admirer les œuvres d’un artiste dont le temps n’a fait que renforcer le talent.