Photographie de Luca Gilli à la Maison de la Photographie de Lille

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Photo de Luca Gilli

«Les lieux dans lesquels Luca Gilli se glisse, souvent de manière subreptice, sont des espaces intérieurs en construction, des pièces fermées et en chantier. Des espaces conventionnels et standardisés, d’habitation et de bureaux contemporains, issus d’une architecture « sans qualités ». Des espaces sans grâce particulière, sans brio affiché et sans faute de goût flagrante, construits selon des normes et des règles communes liées à un certain héritage d’une architecture moderne.

Mais ces lieux sont également, pour Gilli, dans leur anonymat d’espaces en devenir, à l’identité encore incertaine, des endroits avec lesquels il entretient une certaine distance : des lieux qu’il ne fait que traverser, dans lesquels il ne reviendra pas et où les conditions de travail précaires l’obligent fréquemment à photographier rapidement.

Pourtant c’est bien cette identité encore incertaine qui, conjuguée à l’absence d’affect qui s’en dégage, constitue ces lieux aux yeux du photographe, en lieux idéaux de l’expérimentation photographique : des pièces sans aucune histoire préalable, sans la moindre fonction définie ou décelable, simples formes architectoniques, volumes et surfaces vierges d’inscription, propres à des jeux avec la lumière […]

La lumière joue ici contre la perspective traditionnelle. Chacune des images de Gilli rend compte d’un espace dont la perception est littéralement bouleversée par un trop plein de lumière. Cette dernière accomplit une double métamorphose, des volumes et des matériaux : murs sans fin ni angles, espace sans profondeur, escaliers qui semblent ne mener nulle part, planchers devenus liquides, aplats colorés sans matière… Le spectateur en ressort comme sous le coup d’un éblouissement : frappé par l’éclat trop brutal de la lumière, saisi de vertige, littéralement déboussolé, c’est-à-dire ayant perdu ses repères perceptifs habituels.

Souvent sans profondeur, comme en apesanteur, ces images nous rappellent combien la perte de l’ombre, notamment de l’ombre portée, est un des ressorts traditionnels de la littérature fantastique : désormais privés de modelé, ces lieux communs se voient parés des grâces du bizarre, de l’insolite voire de l’impossible : la courbe s’y transforme en plan, le mur y devient plancher, les angles disparaissent au profit d’un continuum incernable […] L’expérience lui permet alors, chose trop rare en photographie, d’interroger le blanc dans sa richesse infinie, d’en faire ressortir les textures, les nuances – le mat, le brillant, le lisse et le granuleux […]

Comme la page blanche qui fait ressortir les caractères d’imprimerie, le blanc des images de Gilli est non seulement d’une infinie variété mais il peut également servir d’écrin et de faire-valoir aux autres couleurs. Ici et là, la surface blanche sans profondeur de ces espaces en chantier est perturbée par des points colorés : gaines électriques, taches de peinture, outils et instruments de chantier, éléments de mobilier… Tous ces motifs sans modelé ni volume, objets réduits à de simples silhouettes sans profondeur, viennent scander l’aplat principal de la composition. Souvent incongrus ou insolites dans l’espace qui les entoure ils apparaissent comme rapportés et sans contiguïté physique évidente avec leur environnement […]

Bouleversant l’esthétique souvent rassurante qui est la leur – celle d’un espace en devenir, qui porte en soi sa finitude et son achèvement futur – les vues de Gilli proposent un autre espace dans lequel irréalité et immatérialité se conjuguent et se confondent. Un espace où le blanc hygiénique d’une certaine architecture contemporaine se mue en un blanc transcendant, primordial. Un espace où l’excès presque aveuglant de lumière nous restitue comme une certaine innocence et une certaine naïveté du regard 1.»

Extrait du texte « Les Chambres Blanches » de Quentin Bajac, Conservateur – Chef du Cabinet de la photographie. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

  • Exposition du 21 juin au 15 juillet 2012
    Vernissage le jeudi 21 juin à 18h30

Maison de la Photographie