La singularité du travail de Pascal Bauer tient à la virtuosité avec laquelle il croise des compétences, des matériaux, des techniques pour les mettre au service d’idées fulgurantes et profondes qui se matérialisent en images, mouvements, sons, objets.
Ce qu’on retient d’abord dans cette riche diversité, c’est l’immense liberté avec laquelle il s’empare de sujets graves et de techniques complexes, c’est sa capacité à faire sens. Ces images, fixes ou en mouvement, nous saisissent, frappent nos esprits par leur vivacité et leur audace tout en gardant une part de mystère qui nous mène à la réflexion.
L’oeuvre est complexe. Ludique au premier abord, elle ne cesse de se complexifier dans une approche plus resserrée. Ces oeuvres dialoguent et transmettent parfois jusqu’à l’absurde une revigorante critique des relations entre l’homme, ses objets, ses projections, et sa mise en liberté surveillée par les technologies. Leurs dimensions politique et philosophique font appel à un humour corrosif qui est proche, selon l’artiste, « des énoncés absurdes voire impalpables de Kafka », et nous entraîne vers « des réflexions qui vont à l’encontre des opinions idéologiquement préfabriquées ». Pascal Bauer explore les facettes de l’aliénation, et la part de douce folie égocentrique qu’il nous faut assumer pour vivre. Ses portraits et auto-portraits expriment la dépossession, la perte d’autonomie ; que ce soit pour des raisons matérielles, psychologiques ou intellectuelles. Le corps, principalement, est exposé dans sa fragilité, et très souvent dans sa nudité intégrale, encastré dans une mécanique complexe à laquelle il se plie.
L’exposition présentée par Synesthésie, Pascal Bauer : Le Cercle, La Foule, L’Elu et les Objets d’ego(s), revient sur les quatre dernières années au cours desquelles l’artiste a produit la majeure partie de ses objets, photographies et installations robotiques. Elle présente une quinzaine d’oeuvres dont la pièce maîtresse est “Le Cercle“, un dispositif impressionnant qui a été co-produit par Arcadi et est montré pour la première fois au public dans le cadre du Festival Némo des arts numériques en Ile-de-France.
Cet événement est organisé par Synesthésie au musée d’art et d’histoire de Saint-Denis à l’occasion du Festival Némo. Cette manifestation, installée au coeur de l’édifice dionysien, résonne avec ses collections. Ainsi le taureau, figure centrale de la pièce Le Cercle, renvoie à la revue Minotaure présente dans le fonds Paul Eluard du musée. L’exposition confronte le mysticisme au pathétique, le sophistiqué au vernaculaire, le grave au dérisoire, et régénère nos idées –souvent toutes faites- quant au progrès, au pouvoir et à la pseudo-maîtrise de l’homme sur son environnement.
Le Cercle
Pascal Bauer présente en exclusivité, cette nouvelle pièce semi-monumentale, Le Cercle, impressionnante métaphore des jeux de contrainte et de liberté qui règlent toute organisation sociale. Le Cercle est un appareillage spectaculaire qui met l’écran en mouvement et permet à nos capacités sensorielles et cognitives de transformer l’illusion en réalisme. Sur l’écran un taureau en mouvement, est contraint de s’adapter à la géométrie de la machine et réagit de façon imprévisible à la présence des spectateurs. Le dispositif technologique maîtrise l’animal, l’asservit tout en se mettant au service de son image. Le taureau devient un personnage fictionnel, doté d’une vie, d’un comportement complexe, qui nous regarde et nous ressent à la mesure de notre voyeurisme.
L’Elu, La Foule et les installations vidéos
Les dispositifs vidéographiques de Pascal Bauer sont surprenants et s’engagent dans la voie du rêve promothéen : manoeuvrer les artefacts pour, à défaut d’en faire des êtres à part entière, créer une forte illusion quant à leur autonomie, figurer une osmose homme-machine. Le corps, sa nudité, sa fragilité, est un vecteur puissant de l’oeuvre de Pascal Bauer, et tout d’abord le corps de l’artiste. L’homme est piégé, pris dans les filets de la machine, il en dépend, elle le transforme. Il est placé dans des situations inconfortables ou absurdes. Ainsi cet élu, héros fabriqué par la société, voué à se surpasser, qui gigote sur sa croix pour garder son équilibre, ou ce marcheur qui arpente rapidement l’espace qui lui est imparti comme s’il cherchait le passage vers le hors champ. Contre quoi se démènent-ils ? Contre leur propre ambition ou contre leur impuissance à remplir la mission qui leur a été attribuée ?
Icône, Ne jamais laisser vos enfants seuls
L’ambition humaine retombe souvent dans le registre du pathétique, du grotesque ou du cauchemardesque. Icône est un auto-portrait de l’artiste qui, devenu objet de curiosité, auréolé comme un martyre, est aplati et son corps déployé comme un insecte pris en étau entre deux vitres. L’installation Ne jamais laisser vos enfants seuls est le pendant de l’Elu, la vision d’un monde peuplé de clones grimaçants qui, comme une meute de chiens, se retiennent de mordre.
Les Objets d’ego(s)
Cette série consiste à créer des objets aux fonctionnalités inédites et à les photographier associés à leur propriétaire fictionnel. Elle peut être envisagée comme une mise en valeur du corps, mais aussi comme une vision des contraintes imposées par le paraître sur l’être. Selon Pascal Bauer, «La plupart de ces objets d’égos sont nés des petits énervements que nous ressentons face à des situations observées ou des phrases entendues».
L’exposition de ces diptyques crée une mise en abyme qui démultiplie les sens, démarche chère à l’artiste dont les oeuvres procèdent d’une exigence de synthèse à partir de la diversité des matières. La polysémie des scènes nous dirige vers une poétique particulière qui prend en compte l’incongruité des situations autant que leur mode sublimatoire.
Ainsi A nos grands hommes mélange les figures de l’héroïsme avec le quotidien ménager. Un moment de détente crée une symbiose improbable entre un archaïque tabouret de ferme et un pied de guéridon bourgeois qui se fondent en appendice fessier d’un mâle suffisant.
Pascal Bauer est né en 1959 , il vit et travaille à Paris, et il est représenté par la School Gallery
- Du 7 décembre 2012 au 28 janvier 2013
Saint-Denis musée d’art et d’histoire
- 22 bis rue Gabriel Péri, 93200 Saint-Denis