CONTES DES TEMPS MODERNES OU LA MISÈRE ORDINAIRE
Fin des années 1980, surgit, dans le vocabulaire économique et social français, le terme de RMI (revenu minimum d’insertion), et concomitamment celui de “nouveaux pauvres”. Il qualifie les ouvriers qui, bien qu’ayant un emploi, ne gagnent pas assez pour vivre, des femmes au foyer n’ayant jamais travaillé, des paysans retraités et sans ressources, des jeunes n’ayant droit à aucune aide, et d’autres qui, prisonniers de secteurs d’activité moribonds – mines, industrie sidérurgique ou textile -, se retrouvent chômeurs, inutiles, précarisés. En 1988, le Secours Populaire demande à Marie-Paule Nègre d’aller à leur rencontre en plusieurs lieux de l’Hexagone, du Nord- Pas-de-Calais à Longwy, Marseille ou Manosque, sans doute parce que les signes de la pauvreté que nous donne à ressentir la photographe ne sont pas les mêmes partout.
Marie-Paule découvre une situation bien pire que celle qu’elle avait imaginée : « J’ai souhaité rendre visible la misère ordinaire, dont la banalisation grandissante finit par voiler l’insupportable constat », dit-elle. « À première vue, aucun signe extérieur de pauvreté vraiment criant. Et puis on aperçoit des détails qui en disent long : une dent qui manque, un regard un peu trop vide, un rire trop proche de l’hystérie. »
Indignée, elle conçoit un livre qu’aucun éditeur ne prend le risque de publier et pour lequel l’écrivain Jean Vautrin écrit : « C’est parce que nous traversons une période frileuse et mangée par les affres de l’indifférence, de la désillusion, et, sans doute conviendraitil de dire, de la lâcheté quotidienne que, séduit, touché, ému par le travail de Marie-Paule Nègre, par l’universalité de ses images, par sa capacité d’immersion au coeur vivant de la précarité, par sa faculté à capter les justes signaux de la détresse, j’ai voulu user à ma manière de mon libre chemin d’artiste “ préoccupé” pour être, le temps d’un texte, son compagnon de route et de révolte et offrir, s’il est possible, au lecteur un contrepoint de clameurs et de colères à la rigueur objective de la photographe. »
Parcours de L’exposition
Elle s’attache tant à ces naufragés de la vie que dix ans, puis vingt ans plus tard, en couleurs cette fois, elle retourne les voir, parfois aux termes d’une longue enquête pour retrouver les générations d’enfants, devenus adultes, de ces familles trop souvent écartelées. CONTES DES TEMPS MODERNES OU L’AISANCE ORDINAIRE En réaction à son immersion dans la misère, la photographe, à l’occasion d’une commande du ministère de la Culture, s’introduit dans le milieu de la jeunesse dorée, faite de riches héritiers et héritières qui fréquentent les rallyes, les courses de chevaux, où l’on se retrouve entre soi et en terrain conquis. Ce faisant, elle marche dans les traces de la photographe américaine Diane Arbus, qui avait documenté, pour le magazine Vanity Fair, la vie des pauvres et des riches.
CORPS & ÂMES
Ces photographies ont été captées au fil du temps, entre reportages, commandes ou résidences, et révèlent l’attention que Marie-Paule Nègre accorde aux autres, au mouvement qui les anime, à ces instants de grâce où, pour elle, tout se met en place dans le cadre, comme cet instant surpris au jardin du Luxembourg. Alors qu’elle photographiait un concours de fanfares, l’artiste perçoit intuitivement qu’il se passe quelque chose dans son dos. Elle se tourne et surprend cette scène magique où des femmes chassent les fumigènes de leurs mains.
LE JAZZ DANS TOUS SES ÉTATS
Premier grand thème exploré par Marie-Paule Nègre à partir des années 1980 : les musiciens de jazz, de toutes nationalités, sur scène, en coulisses, en tournée ou chez eux. « Qui pourrait, mieux qu’elle, écrivait le photographe et critique Alain Dister, comprendre la vie des gens du jazz, le stress des tournées, comme le bonheur de jouer ensemble, l’intimité d’un moment en famille et le coup de blues qui assomme quand on est trop loin, trop longtemps, de ceux qu’on aime. Sans compter ces états bizarres où vous plonge le timbre d’un cuivre, lorsque sa vibration emplit la tête et le corps. »
FEMMES EN RÉSISTANCE
Grâce à des commandes passées par la presse féminine, Marie-Paule Nègre part souvent très loin à la rencontre de femmes d’autres cultures entrées en résistance pour ne pas subir le triste destin de leurs mères : femmes-enfants du Rajasthan, mariées contre leur gré, soumises aux pires corvées, femmes du Burkina Faso accusées de sorcellerie, gamines africaines excisées, filles mauritaniennes gavées de force afin de satisfaire le goût pour la chair obèse des hommes de là-bas, adolescentes des rues battues au Guatemala… Une immense lueur d’espoir, heureusement : partout où cela devient possible, souvent grâce aux ONG, des écoles pour les filles ouvrent, et ces dernières s’y précipitent, conscientes que l’amélioration de leur vie passe par l’éducation.
UNE HISTOIRE DE FAMILLE
Enfant, Marie-Paule Nègre assiste aux premiers pas d’une danseuse étoile de l’Opéra de Paris avec laquelle elle partage sa chambre. Sa soeur, Mireille, très jeune, est déjà sous les feux des médias. À 25 ans, elle décide qu’elle ne dansera plus que pour Dieu. Elle s’éclipse et entre dans les ordres. Dix ans passent, où elle vit recluse au carmel, puis chez les visitandines, avant de faire sa réapparition comme vierge consacrée, de danser à nouveau en public, de composer, d’écrire et de peindre.
Marie-Paule Nègre témoigne de ce parcours irradié par la foi et la passion. D’autres images imprègnent son univers familial : photographies sur plaques de verre réalisées par son grand-père, clichés de sa mère, photogrammes tirés de films familiaux… Joints à ses propres photos, ces témoignages constituent un objet bidimensionnel, à la fois portrait de groupe et histoire d’une lignée.
- Commissaire d’exposition : claudine boni
- Commissaire d’exposition pour la mep : jean-luc soret
- Exposition jusqu’au 31 août 2014
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LA MAISON EUROPÉENNE DE LA PHOTOGRAPHIE
5/7 Rue de Fourcy – 75004 Paris
www.mep-fr.org
Actuellement aussi à la MEP :
Françoise Hugier” PINCE-MOI, JE RÊVE”
Cette exposition est la description d’un monde rêvé par Françoise Huguier. Sans romantisme publicitaire, sans lyrisme, mais comme une collection d’images glanées, réalisées avec élégance, sans avoir l’air d’y toucher.
Katia Macial “RÉPÉTITION(S)”
Katia Maciel est artiste, réalisatrice, poète, chercheuse du CNPq et professeur de l’École de Communication de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro depuis 1994.
- A voir aussi sur artsixMic : https://www.artsixmic.fr/marie-paule-negre-photographies
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