Cette très belle exposition que propose la Philharmonie à Paris et qui fait écho avec celle qui se tient au musée d’art et d’industrie André Diligent La Piscine de Roubaix, met en lumière le lien fort entre le peintre Marc Chagall et la musique, l’artiste russe naturalisé français ayant beaucoup apporté au monde de la scène et plus particulièrement à celui de l’opéra et du balai.
Parmi les 300 œuvres exposées, des éléments décoratifs et architecturaux liés à la musique, des peintures et dessins, des clichés dont certains inédits dont celles d’Izis prises dans l’atelier de Marc Chagall dans les années 1960, des costumes de scène, des sculptures et céramiques mais aussi des installations multimédias dont un autour du plafond de l’Opéra Garnier.
Élevé dans le rite religieux du judaïsme qu’est le mouvement hassidique, Marc Chagall a toujours été sensible à la musique, et notamment à sa dimension sacrée.
Déjà dans les années 20, il avait réalisé les décors du Théâtre juif de Moscou qui constituaient un décor universel réunissant les arts (Musique, Danse, Théâtre, Littérature) dans une approche d’art total, faisant rayonner la culture et la langue yiddish par l’association du spectacle populaire, de la musique, du rythme, du son et de la couleur.
Une vingtaine d’années plus tard, une fois arrivé en Amérique où il s’était réfugié, Chagall signe la scénographie et les costumes de scène de “Aleko”, un opéra de Sergueï Rachmaninov à Mexico, et de « L’Oiseau de feu » d’Igor Stravinski à New York. Une fois revenu en France, il collabore au « Daphnis et Chloé » de Maurice Ravel puis en 1964 conçoit, sur commande d’André Malraux, alors ministre des affaires culturelles, le très célèbre plafond de l‘Opéra Garnier à Paris, son œuvre étant un hommage aux plus grands compositeurs de l’Histoire de la musique.
Les nombreuses esquisses inédites de ce projet, également présentées dans ce volet de l’exposition, restituent pas à pas la genèse de la création et les différentes étapes de son processus créatif.
La musique a influencé l’œuvre de Chagall, et si cette très belle exposition en est le reflet on le doit notamment à la présence de l’un des deux commissaires, Mikhaïl Rudy, musicien, érudit, connaisseur de l’œuvre de Chagall, qui en 1977, alors jeune et brillant pianiste d’Union soviétique, avait profité de sa première tournée en Europe de l’Ouest pour demander l’asile politique en France, et qui a eu la chance d’être le pianiste du concert organisé par le violoncelliste Rostropovitch pour les 90 ans de Chagall.
« Pour moi, Chagall était un mythe ! Alors que je me cachais des services secrets soviétiques, ce soir-là j’ai joué pour et devant Chagall, avec les plus grands musiciens, le Triple Concerto de Beethoven. Je n’avais alors que 24 ans », se souvient-il.
Pendant sept ans, Mikhaïl Rudy fut invité à se produire une fois par an au Musée Chagall de Nice, installant ainsi une relation privilégiée avec le peintre :
« je passais à chaque fois une journée entière avec lui. Il était très ouvert et curieux, car il connaissait très peu la jeunesse soviétique, et ça l’intéressait aussi de comprendre quel regard celle-ci portait sur lui ».
Le pianiste est resté fidèle à la mémoire du peintre après sa mort, continuant à jouer en sa mémoire, et réalisant à la demande des petites-filles de l’artiste, un spectacle s’appuyant sur un film d’animation réalisé à partir du plafond du Palais Garnier, l’oeuvre la plus connue de Chagall.
« Chagall était un mélomane averti » poursuit Mikhail Rudy,
« Il écoutait tout le temps la musique, il voulait qu’elle ait une influence sur sa peinture, et sûrement la résonance est permanente. Il avait des goûts éclectiques, mais classiques, son compositeur préféré était Mozart, sorte d’idéal de l’art. Il était séduit en particulier par une légèreté apparente qui cachait une technique extraordinaire ! Et c’est ce que Chagall voulait aussi dans sa peinture. Il y a une sorte de lyrisme dans sa peinture, et le plafond de l’opéra est construit comme un opéra mozartien ».
Après ce “panthéon musical” qu’est le plafond de Garnier, l’exposition suit un parcours chronologique inversé et retrace les différentes collaborations de Marc Chagall avec le monde de la musique des dernières aux premières.
L’itinéraire de l’exposition s’achève sur le “Théâtre d’art juif“, œuvre majeure de Chagall de 1920 peu connue en France, car conservée à la Galerie Trétiakov de Moscou. Il s’agit des décors de ce théâtre né pour affirmer la culture yiddish d’avant-garde en Russie soviétique dans une conception moderne d’art total. La musique y a évidemment une place importante et il est vrai que l’on associe facilement l’œuvre du peintre au violon, à la tradition juive et en particulier à la musique klezmer.
Ces origines musicales sont mises en valeur à l’exposition qui se tient en parallèle, à la Piscine de Roubaix, alors que celle de la Philharmonie est dédiée au rapport à la musique dite “savante”.
Comme tient à le souligner Mikhail Rudy, Chagall était aussi un artiste aussi fascinant, grandiose que humble et c’est cette humilité qui a le plus marqué le pianiste qui se souvient :
«Il est mort à 98 ans, le soir d’une normale et dure journée de travail. Sa vie, c’était le travail et lui se voyait comme un humble artisan devant un travail infini. Il était détaché des honneurs. C’est clairement un exemple pour moi ».
“Marc Chagall : le triomphe de la musique”
Jusqu’au 31 janvier 2016Philharmonie de Paris
Cité, 221 Avenue Jean Jaurès, 75019 Paris