Mâkhi XENAKIS “Métamorphoses”, Kazuo YUHARA “Oxygène naissant”

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    Mâkhi Xenakis, Grande arachné, 2011, pastel rose et noir sur calque, codon, plume

    Les deux artistes ressuscitent des énergies engourdies, des matières négligées, banalisées. Ils ne sont ni du même sexe, ni de la même génération, ni de même culture et, pourtant, Kazuo Yuhara et Mâkhi Xenakis, outre qu’ils partagent une même prédilection pour les oeuvres sur papier, ont en commun ce désir de stimuler l’aura du monde avec une étonnante économie de moyen. Ils croient en la puissance renversante du presque-rien. Une anecdote : Kazuo Yuhara raconte comment, un jour, il eut le sentiment que des blocs de pierres, face auxquels il se trouvait, pouvaient s’ébranler, prendre vie, par sa simple appréhension mentale. De même que nous avons tous rêvé, un jour ou l’autre, de voir les choses inertes s’animer ou, mieux encore, les animer nous-mêmes par la seule force de l’esprit. Mâkhi Xenakis, elle, dit se reconnaître aux bousiers types de scarabées noirs qui, inlassablement, poussent devant eux une boule qui amalgame tous les trésors que croise leur chemin. Voilà deux artistes qui s’identifient aux cailloux jonchant le sol ou aux bêtes rampant à terre : une posture d’humilité. Kazuo Yuhara conçoit sa mission d’une façon qui peut sembler fort étrangère à nos attentes. Il ne crée pas au sens où nous l’entendons communément, fabriquant ex nihilo un nouvel objet destiné au plaisir ou à l’admiration ; il fait vibrer ce qui est déjà là, en se contentant d’interventions, comme des chiquenaudes qui imprimeraient une présence et en propageraient les ondes dans l’espace. Ainsi ses grands papiers roulés et teintés d’encre de Sumi. Le vide, qui glisse sur la feuille, n’y est pas synonyme de lacune. Il tient plutôt en germe tous les possibles, toutes les projections de sens que ces supports accueillent, à moins qu’il ne laisse bruisser des voix lointaines et effacées : connaissance, sagesse, spiritualité, prière, calligraphie. On pense à Fictions de Borges, à cet assemblage infini de livres capturant tout de ce qui a été ou qui pourrait être. Une espèce de champ magnétique de la pensée.

    Forte d’un trajet extrêmement riche et protéiforme, où se mêlent l’écriture, le théâtre, l’histoire et bien sûr les arts plastiques, Mâkhi Xenakis a eu en plus le privilège d’être une créatrice extrêmement proche de Louise Bourgeois. L’influence de celle-ci combinée à un projet pour la Manufacture des Gobelins autour de la question du tissage, et à la révélation du mythe d’Arachné, l’a conduite vers l’élaboration de créatures hybrides « les métamorphoses ». S’y assimilent des physionomies d’araignées, de coléoptère, de méduse et de raies. En ouverture d’un texte sur ses Folles d’enfer, ensemble de sculptures exceptionnel présenté à la Salpêtrière en 2004, Mâkhi Xenakis expliquait : « J’ai l’impression que depuis toujours, je cherche à parler de nous, de l’humain, de la vie. » Une impression qui se vérifie admirablement, quelques années plus tard. Son trait, ses crayonnés noirs et mauves, d’une sensualité sobre, font jaillir des effets qui donnent aux organismes animaux une facture, un volume proches du tissu, de la minéralité, du fruit, du bijou. Mais elle donne surtout le sentiment d’arracher des fossiles à l’oubli et de les réintégrer aux flux du temps et de ses métamorphoses.

    Les oeuvres de Kazuo Yuhara et de Mâkhi Xenakis sont, plus généralement, des signaux dans l’obscurité. Voilà deux artistes qui prennent un soin parcimonieux, extraordinairement délicat, à sauver les choses de l’inexistence. Notre civilisation est celle du déchet permanent, du débarras. Nous tassons et tassons encore des amas obscène de rebuts, et plus nous produisons, plus nous désirons écarter ce que nous avons produit, l’expédier dans les limbes. Que de matière gâchée, engloutie, mortifiée ! La démarche de ces deux magnifiques créateurs est à rebours de ce désespérant gaspillage. Pour reprendre une image de l’écrivain surréaliste André Breton, l’un et l’autre sont les auteurs d’une oeuvre « belle comme l’oxygène naissant », ce gaz qui, à l’état pur, s’avère asphyxiant, mais qui n’en demeure pas moins le principe même de la vie. Mâkhi

    Mâkhi Xenakis

    Mâkhi Xenakis est née en 1956, à Paris, où elle dessine, sculpte et écrit. Elle étudie l’architecture avec Paul Virilio et crée des décors et des costumes pour le théâtre notamment avec Claude Régy. En 1987, est lauréate de la Villa Médicis hors les murs ; s’installe à New York pour peindre jusqu’en 1989. Elle y fait une rencontre décisive avec Louise Bourgeois. De retour à Paris, elle publie le livre Louise Bourgeois, l’aveugle guidant l’aveugle et se met à exposer régulièrement son travail de dessins et de sculptures. En 1999, première exposition de sculptures accompagnée du livre Parfois seule. En 2001, exposition de dessins et de sculptures et publication du livre Laisser venir les fantômes. En 2004, invitée à exposer ses sculptures à la Salpêtrière, elle découvre dans les archives de l’assistance publique l’enfer carcéral vécu par des milliers de femmes depuis Louis XIV et publie Les folles d’enfer de la Salpêtrière. Elle présente parallèlement un ensemble de 260 sculptures dans la chapelle. A partir de 2006, après l’enfermement des femmes de la Salpêtrière, elle se tourne délibérément, dans son travail de sculpture, vers une féminité joyeuse, pleine et sensuelle. Ce travail se cristallisera par une édition à 8 exemplaires en porcelaine de Sèvres réalisées par la manufacture intitulée La Pompadour, un livre accompagne cette sculpture en 2011 avec des textes de David Cameo, Gilbert Lascault et Mâkhi Xenakis.

    Kazuo Yuhara

    Kazuo Yuhara est né en 1930, vit et travaille à Tokyo. Les oeuvres actuelles de Kazuo Yuhara semblent être moins restreintes que les précédentes. Sans jamais oublier ses scrupules, il découpe la forme en cherchant une forme réduite jusqu’à ce qu’elle atteigne sa plus grande existence dans une lecture à la fois calme et composée. Pour ses sculptures en papier, il utilise du papier dur et épais, en tirant partie de la flexibilité du papier pour démontrer cette sensation. C’est alors le poids du papier lui-même qui forme une courbe douce.

    • Exposition du 10 octobre 2012 au 18 décembre 2012

    Galerie Taïss

    Kazuo Yuhara, Untitled PW ‘07-8, 2007