Michel Hazanavicius : “Je suis très heureux du film, et à tout prendre, mieux vaut un film de moi sur Godard qu’un film de Godard sur moi…“
Paris 1967. Jean Luc Godard, le cinéaste le plus en vue de sa génération, tourne La Chinoise avec la femme qu’il aime, Anne Wiazemsky, de 20 ans sa cadette. Ils sont heureux, amoureux, séduisants, ils se marient. Mais la réception du film à sa sortie enclenche chez Jean Luc une remise en question profonde. Mai 68 va amplifier le processus, et la crise que traverse Jean Luc va le transformer profondément passant de cinéaste star en artiste maoiste hors système aussi incompris qu’incompréhensible.
Questions à Michel Hazanavicius :
Pourquoi ce titre, Le Redoutable ?Michel Hazanavicius :
Je n’ai jamais été très doué pour le choix des titres… Je suis très admiratif de Godard, qui a toujours des titres géniaux. Je crois même qu’il pense d’abord au titre et ensuite au film qui lui correspond. Les titres de ses films des années 1960 sont d’autant mieux choisis que chacun ressemble à un auto-portait possible de l’homme qu’il a pu être : Vivre sa Vie, Le Mépris, Le Petit Soldat, Bande à part, A bout de souffle… Le premier titre du film était Le Grand Homme, mais l’expression avait un accent caustique que je n’aimais pas. Elle pouvait prêter à malentendu. En revanche le côté « belmondesque » du Redoutable me plaisait : on peut penser au Marginal, à L’Incorrigible, au Magnifique… Et j’aime aussi que le mot puisse s’en- tendre de façon à la fois positive et négative : dire de quelqu’un qu’il est redoutable, cela peut être aussi bien un compliment qu’un reproche. Enfin j’aimais l’idée d’utiliser le gimmick « Ainsi va la vie au bord du redoutable », et même de finir le film avec lui. Cela donne une petite touche ironique que j’aime bien.
Comment avez-vous découvert Un an après ?
Michel Hazanavicius : Tout à fait par hasard. Je devais prendre un train et avais oublié le livre que je lisais alors. À la gare, j’en ai cherché un que je puisse lire pendant le temps du trajet. Je suis tombé sur Un an après. J’ai tout de suite vu un film. Anne Wiazemsky a consacré deux livres à l’histoire d’amour qu’elle a vécue avec Jean-Luc Godard. Une année studieuse raconte les débuts de cette histoire, la façon dont ce type charmant mais un peu maladroit fait ses premiers au sein d’une grande famille gaulliste – Anne étant la petite fille de François Mauriac – jusqu’à la réception de La Chinoise au festival d’Avignon 1967. Et Un an après raconte Mai 68, la crise que traverse Godard, sa radicalisation, et le délitement de leur mariage, jusqu’au point de rupture. J’ai été très touché par leur histoire, que j’ai tout de suite trouvée originale, émouvante, sexy, et tout simplement très belle. Le Redoutable comporte quelques éléments tirés d’Une année studieuse, mais l’essentiel vient d’Un an après. Quand je l’ai contactée par téléphone, Anne Wiazemsky avait déjà refusé plusieurs offres d’adaptation. Elle ne tenait pas à ce que ce livre devienne un film. Je me souviens que, juste avant de raccrocher, je lui ai dit que je trouvais cela d’autant plus dommage que le livre m’avait paru très drôle. Elle a tout de suite réagi en disant qu’elle aussi trouvait cela très drôle, mais que jusqu’à présent personne ne lui en avait fait la remarque. C’est ainsi que tout a commencé.
Quel rapport entretenez-vous avec le cinéma de Godard ?
Michel Hazanavicius : Jeune, j’ai adoré A bout de souffle, son énergie incroyable, ses phrases mythiques, l’apparition géniale de Belmondo… et puis dans la foulée, j’ai adoré les films de la période Karina. Un charme fou ! D’un autre côté, chez Godard, ce n’est pas tel ou tel film qui importe. Aucun n’est parfait, à la différence de ce qu’on peut trouver chez Billy Wilder, Ernst Lubitsch ou Stanley Kubrick. C’est quelqu’un dont il faut sans doute plutôt observer le trajet. Et ce trajet est unique parce qu’il ne cesse d’évoluer, de se redéfinir. Godard a d’abord connu une décennie enchantée : les années 1960. J’ai bien sûr vu ou revu tous les films de cette période. Ces films respirent la liberté, et restent d’une audace et d’une modernité absolument réjouissantes. J’ai d’ailleurs, en les revoyant, été frappé par une chose : alors qu’il refuse le réalisme qu’on peut trouver chez Truffaut, Chabrol ou les autres, ses films laissent aujourd’hui une impression de réalité indépassable. Quant aux années 1970, bien que j’en comprenne la démarche intellectuelle, je dois avouer que je trouve les films compliqués à regarder. Je les vois davantage comme des cailloux disposés le long d’une route, comme les étapes successives d’une longue réflexion, et qui dure toujours aujourd’hui. On peut considérer qu’à ce moment-là Godard a tourné le dos à un certain cinéma. Cela me pose évidemment un problème comme spectateur, mais comme réalisateur je ne peux qu’avoir du respect pour son choix, et l’intégrité qui le porte. Et puis il faut se souvenir que la France des années 1960 était prise dans une telle sclérose que toutes les révoltes, même les plus incongrues, étaient compréhensibles. A mon sens, il y a un domaine où Godard est toujours pertinent, c’est l’image. Dès qu’il en sort je le trouve moins bon. Je ne le considère pas, par exemple, comme un grand penseur politique.
Comment avez-vous choisi Stacy Martin pour interpréter Anne Wiazemsky ?
Michel Hazanavicius : Bérénice Béjo a joué avec elle dans The Childhood of a leader, de Brady Corbet. Elle tournait en Bulgarie, je l’y ai rejointe pour quelques jours, et c’est là que j’ai fait la connaissance de Stacy. Quand j’ai commencé à chercher une jeune actrice, Bérénice m’a soufflé son nom, je l’ai appelée, elle est venue faire des essais et c’était plié. Son choix s’est imposé comme une évidence. Stacy ressemble à une jeune femme des années 1960. Elle est née à Paris, mais elle vit à Londres et a passé une partie de son enfance à l’étranger, elle a une pointe d’accent, et son phrasé possède quelque chose d’intemporel qui me plaît beaucoup. Stacy a été remarquable. Dans la première partie du film, elle est surtout celle qui écoute et qui regarde : sa présence est essentielle, mais ce ne sont évidemment pas les choses les plus excitantes du monde à jouer. Mais il y a dans son visage une beauté tragique, un peu distante, qui permet au spectateur de se raconter plein d’histoires. D’y greffer plein de sentiments, plein de nuances. Elle a un visage de films muets, un peu à la Garbo. Ces scènes d’observation, d’écoute, devenaient dès lors très simples pour moi. Je savais que le personnage existerait, même sans qu’elle ait trop de dialogues. Le film raconte l’histoire de son émancipation, et de l’érosion de l’amour qu’elle porte à son mari. Nous avons mis en place une évolution avec Stacy sur la perte progressive du sourire. Elle sourit beaucoup au début, puis de moins en moins, pour finir par ne plus sourire, jusqu’à ce qu’elle se libère de lui. Le retour de son sourire raconte sa libération. Pour que l’on s’attache à leur histoire d’amour, j’avais besoin que l’on tombe amoureux d’elle dès le début du film. Pour cela j’ai tenté de traiter son personnage comme un objet pop, et de la filmer comme telle. Et pour la première fois je me suis confronté à un couple, à la représentation de l’amour et de la sexualité. C’est par elle que le film s’ouvre à la vie, à la sensualité, à l’amour. C’est son personnage qui raconte l’histoire, et c’est aussi parce qu’elle aime Godard, malgré tous ses défauts, que nous l’acceptons. Elle est le point fixe du film.
Quelle nouveauté ce film représente-t-il dans votre travail ?
Michel Hazanavicius : Difficile à dire… J’espère avoir trouvé un équilibre neuf entre le jeu esthétique et le respect des personnages. Il me semble que dans The Artist la forme l’emportait, et que dans The Search elle disparaissait, au moins au sens où j’imposais au spectateur un rapport frontal avec l’histoire. Ici j’ai essayé de jouer sur plusieurs genres, d’être libre, de marier la comédie pure avec des éléments plus complexes.
Le Redoutable de Michel Hazanavicius
Avec Louis Garrel, Stacy Martin, Bérénice Bejo et Grégory Gadebois – Au cinéma le 13 septembre – Durée : 1h42
Les principaux interlocuteurs du Redoutable :
BERENICE BEJO
est Michèle Rosier (1930-2017). Fille d’Hèlène Lazareff, elle a été journaliste, styliste et ci- néaste. Elle est l’une de celles qui ont inventé le prêt- à-porter moderne. Elle a réalisé une demi-douzaine de longs métrages, dont Georges qui ? en 1973 et Malraux, tu m’étonnes en 2001. La Cinémathèque française lui a consacré une rétrospective en mai 2016.
MICHA LESCOT est Jean-Pierre Bamberger ( ? – 2014). Surnommé « Bamban », il a été le meilleur ami du philosophe Gilles Deleuze et le compagnon de Michèle Rosier. Ancien Résistant, il multipliait les activités sans en avoir aucune de manière fixe : il participa à la fon- dation de Libération, travailla avec Agnès B., joua dans des films, en produisit…
GREGORY GADEBOIS est Michel Cournot (1922-2007). Il a été critique pour le cinéma et pour la littérature au Nouvel Observateur, puis critique dramatique au Monde, où ses jugements étaient à la fois attendus et redoutés. Il est l’auteur d’un film, Les Gauloises bleues (1968), et de plusieurs livres, dont Au cinéma (Leo Scheer, 2003).
FELIX KYSYL est Jean-Pierre Gorin, né en 1943, a participé à la création du Monde des livres avant d’être associé à celle du Groupe Dziga Vertov. Il vit depuis 1975 aux Etats-Unis, où il a poursuivi une œuvre rare mais importante de cinéaste (Poto & Cabengo en 1978, Routine Pleasures en 1986…), s’est lié d’amitié avec le critique et peintre Manny Farber et a enseigné le cinéma à l’université de San Diego.
ARTHUR ORCIER est Jean-Henri Roger (1949-2012) a été une des consciences du cinéma français. Il a participé à la création du Groupe Dziga Vertov, avant de s’engager au sein d’un autre collectif, Ciné-lutte, d’enseigner le cinéma à l’université de Vincennes puis de coréaliser deux films avec Juliet Berto, Neige (1981) et Cap Canaille (1983). Suivront Lulu (2001) et Code 68 (2005). En 2001, il tient un rôle secondaire dans Eloge de l’amour, de Jean-Luc Godard. Il a enseigné le cinéma à Paris VIII.
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