Irving Penn le célèbre photographe de mode et de beauté, a vu défilé devant son objectif les plus grandes stars du XXème siècle, telles que Pablo Picasso, Yves Saint Laurent, Audrey Hepburn, Alfred Hitchcock, etc.
L’année 2017 marquant le centenaire de la naissance d’Irving Penn, l’un des plus grands photographes du XXe siècle, le Grand Palais, en partenariat avec le Metropolitan Museum de New York, rend hommage à cet artiste talentueux, considéré comme un très grand photographe de mode, de beauté, et devant l’objectif duquel ont défilé les plus grandes stars du XXème siècle, telles que Pablo Picasso, Yves Saint Laurent, Audrey Hepburn, Alfred Hitchcock, etc.
D’origine américaine, Irving Penn suit des études de design, au cours desquelles il assiste son professeur, Alexey Brodovitch, à la direction artistique du magazine Harper’s Bazaar, découvrant ainsi le surréalisme et les avant-gardes européennes, avant d’être engagé comme graphiste à la Pennsylvania Museum & School of Industrial Art. A la fin des années 30, il se met à son compte, ouvrant son studio sur la Cinquième avenue de New York. Recruté par Alexander Liberman, Il intègre l’équipe des photographes de Vogue, y réalisant une superbe nature morte pour la couverture en 1943, flattant à la fois le regard du lecteur et suscitant également son sens du toucher. Irving Penn réalisera ainsi 160 couvertures en cinquante ans, et publiera régulièrement ses photos dans le célèbre magazine ainsi que dans de nombreux autres.
Dans les années 50, pour Vogue et grâce à Edmonde Charles-Roux, alors qu’Irving Penn vient à Paris pour photographier les collections d’automne dominées par un Christian Dior emblématique, il y commence, de Paris à Londres et à New York, sa célèbre série de portraits, Small trades (« Les petits métiers »), consacré au petit peuple du vieux Paris en voie d’extinction ; il photographiera ainsi personnages pittoresques, artisans et commerçants : marchand de concombres, balayeur ou vitrier.
Dès cette époque, Irving Penn devient un photographe côté, ce qui l’amène à réaliser des photos pour des commanditaires du monde entier, photographiant ainsi de nombreuses personnalités du xxe siècle (peintres, musiciens, danseurs, écrivains notamment) : Giorgio de Chirico, Igor Stravinsky, Julian Schnabel, Alexander Calder, George Balanchine, Truman Capote, Pablo Picasso, Yves Saint Laurent, Blaise Cendrars et sa femme, Max Ernst, Dorothea Tanning, Rudolf Noureev, Louise Bourgeois, Al Pacino, Truman Capote, Marlène Dietrich, Colette, la duchesse de Windsor, Audrey Hepburn, Alfred Hitchcock, Jean Cocteau, Salvador Dalí, Francis Bacon, Woody Allen, Miles Davis, et a pour mannequin fétiche, juste après la guerre, Régine Destribaud, ou Lisa Fonssagrives avec qui il se mariera.
Mais Irving Penn se passionnant pour la photographie comme moyen d’expression personnelle, il ne peut se contenter de répondre à la demande commerciale, désireux de poursuivre sa propre recherche artistique. Il est vrai qu’Irving Penn n’a jamais eu l’ambition de devenir un célèbre photographe de mode. Bien au contraire, le sujet semblait le désintéresser à son entrée chez Vogue. Ainsi, envoyé à Lima en 1948 avec plusieurs kilos de vêtements pour suivre le modèle Jean Patchett dans les rues de la capitale péruvienne, il y demeurera seul, son travail une fois fini, partant pour Cuzco où il loue un studio de photographie local et immortalise les Andins qui viennent poser, pieds nus, devant son objectif, ses clichés matérialisant un réel inventaire socioculturel des habitants de l’ancienne cité inca. Toujours animé par un goût pour les aventures humanistes, il réalise également des portraits au Dahomey (1967), en Papouasie Nouvelle-Guinée (1970), puis au Maroc (1971). Le départ en Afrique sub-saharienne est motivé par trois facteurs : l’indépendance reconnue à plusieurs pays dès 1960, les revendications sociales portées par la communauté noire américaine et la disparition annoncée des cultures indigènes avalées par le capitalisme mondial. Afin d’approcher les sujet qu’il photographie sans éveiller méfiance voire haine, le photographe se déplace avec une tente de près de 20 mètres carrés !
Si son travail de photographe de mode a rendu Irving Penn célèbre, il a toujours conçu celui-ci en studio, jamais au dehors, pas même dans des lieux publics tels que la rue ou les cafés. Seul lui importe l’impact du personnage, ce qui rapproche ses images du portrait, faisant presque oublier parfois qu’il s’agit de photographies de mode. Seul l’arrière- plan, d’une simplicité aussi élégante que raffinée et auquel il accorde un soin des plus méticuleux, lui permet de réaliser cette prouesse ; le photographe crée un lien d’intimité avec ses modèles, met en valeur l’individu, l’extrait de l’anonymat, tout en faisant ressortir l’objet de mode qu’est le vêtement, c’est cela la signature d’Irving Penn : exclure tout artifice de la mise en scène afin de réaliser des clichés aux antipodes du glamour qui envahi les magazines.
Outre le monde de la mode et de la publicité, Irving Penn s’est également intéressé au corps nu, en particulier celui des danseurs. C’est ainsi qu’il photographie, en 1967, le San Francisco’s Dancers’ Workshop d’Anna Halprin, dans sa performance très connue, intitulée Le Bain. Cependant, ses nus du début des années 50, sculpturaux et quasi abstraits, déplaisent par leur rupture avec le canon féminin et l’esthétique de papier glacé que la presse véhicule.
Ses superbes tirages au platine de mégots de cigarettes, réalisés en 1972 et exposés trois ans plus tard au Museum of Modern Art de New York prouve qu’ Irving Penn rivalise de talent aux côtés des plus grands artistes Pop, comme Andy Warhol. Dans sa rétrospective qu’il lui consacre, la première depuis qu’il s’est éteint en 2009, le Grand-Palais mettra en valeur toutes les facettes de l’œuvre du photographe, dont le côté expérimental est bien souvent occulté. La carrière d’Irving Penn a été couronnée du prix Hasselblad en 1985 et deux ans plus tard du prix culturel de la Société allemande de photographie.
Photo : Jean Marc Lebeaupin pour artsixMic
Questions à François Brunet :
A quel type d’images et à quelles qualités associez-vous le nom d’Irving Penn?
François Brunet : Je peux vous répondre immédiatement que ce photographe est associé pour moi à son ouvrage Worlds in a Small Room qu’il a publié en 1974, juste avant sa première exposition personnelle au MoMA (Museum of Modern Art, New York). Ce livre présente une synthèse de vingt ans de voyages autour du monde, au travers de photographies faites le plus souvent avec sa méthode de studio ambulant. Les personnages y apparaissent isolés de leur contexte. Je suis frappé par la densité de ces images, par les tonalités, les gammes de gris d’une grande richesse, mais aussi par l’intensité de la «rencontre», par le cérémonial du portrait, dont j’aurai à reparler, car ce sujet est fondamental. Aujourd’hui, ce type de photographie ethnographique n’existe plus guère pour plusieurs raisons. On serait en peine de trouver un photographe, catalogué « créatif » aujourd’hui, qui en produirait. Une première raison concerne la problématique de la critique postcoloniale, encore inexistante à l’époque de la publication de Penn, qui rend suspect « a priori » l’exotisme ou l’orientalisme émanant de ces photos. D’autre part, ces portraits sont créés dans une démarche d’introduction quelque peu forcée dans un groupe, que ce soit celui des bikers de San Francisco ou bien celui des paysans du Dahomey. Les personnes sont entrées dans son cabinet et ont suivi exactement ce que souhaitait Penn pour les prises de vue. En qualité de photographe de mode, Irving Penn, tout comme Richard Avedon, sait manipuler et littéralement «contrôler» les modèles. Il était certes conseillé par des ethnologues et des historiens et il avait un très bon contact avec les gens.
En tant qu’historien de la photographie, s’il fallait lui dessiner un arbre généalogique, dans quelle lignée de photographes le placeriez-vous ?
François Brunet : Ce qui est mis en avant dans les biographies de Penn, c’est qu’il est photographe de mode. Il a été formé dans les années 30 par Alexey Brodovitch (1898- 1971), puis il travaille chez Vogue. Toute une lignée de grands photographes procède des magazines aux Etats-Unis, le Britannique Cecil Beaton (1904-1980), George Hoyningen-Huene (1900-1968), par exemple. Leur formation artistique est liée à l’expansion de la presse illustrée, mais aussi à la fameuse Ecole d’architecture et d’arts décoratifs allemande du Bauhaus. Les photographes de cette génération s’imprègnent également fortement du mouvement surréaliste. Une autre lignée à rapprocher du travail de Penn est celle du portrait d’atelier, depuis les débuts de la photographie surtout aux USA. Les photographes du XIXe siècle avaient besoin de beaucoup de lumière. Ils étaient eux-mêmes architectes et construisaient leur studio exposés au nord, pour créer un éclairage diffus et uni. Ils fabriquaient des volets et utilisaient des rideaux. Penn, lui aussi, construit son atelier ambulant. Le fond uni des portraits de Penn apporte un effet de concentration sur la plastique du modèle. Il s’agit d’une tradition ancienne aux Etats-Unis qui dérive de la miniature et non de l’effigie d’apparat. Mathew Brady (vers 1823-1896) en présente de la sorte en 1851 à Londres à l’Exposition universelle dans le Cristal Palace, créant la surprise avec ses images au fond noir. L’art du portrait dérive de la tradition picturale, celle de la conversation au XVIIIe siècle, avec l’idée que le rôle du portraitiste est de transformer les gens. Penn l’exprime de cette manière. Dans le même sens, le photographe de personnalités Philippe Halsman (1906-1979) a indiqué qu’il cherchait à révéler la vérité intime de quelqu’un. Les Américains restent fidèles à ce thème en étant très souvent portraitistes, contrairement aux Européens. Les pays de langue anglaise, de l’Ecosse à l’Australie, ont des musées nationaux de portraits qui vont bien au-delà de la galerie d’histoire. La logique en est que chacun peut devenir une figure marquante. Le « rêve américain» mais aussi la tradition protestante de la culture anglophone, qui privilégie le contact concret avec la réalité de la personne, apportent le principe que la dignité de l’individu compte toujours plus que le collectif et les institutions.
François Brunet
Historien des images aux Etats-Unis, François Brunet est professeur à l’université Paris Diderot et directeur du Laboratoire de recherches sur les cultures anglophones. Il a notamment publié La Naissance de l’idée de photographie (PUF, 2000-2011), Photography and Literature (Reaktion Books, 2009) et La Photographie, histoire et contrehistoire (Puf, 2017). Il a dirigé l’ouvrage collectif L’Amérique des images. Histoire et culture visuelles des EtatsUnis (Hazan/Univ. Paris Diderot, 2013).
IRVING PENN
Exposition du 21 Septembre 2017 au 29 Janvier 2018
Grand Palais, Galeries nationales
http://www.grandpalais.fr
- Editeur : RMN
- Collection : RMN PHOTOGRAPHI
- Langue : Français
- ISBN-10: 2711864405
- ISBN-13: 978-2711864409