Nom familier pour qui arpente les musées français où les oeuvres de l’artiste sont nombreuses – à commencer par le Petit Palais –, Jordaens n’a bénéficié d’aucune grande rétrospective à Paris ou même en France. Certes, contrairement à Rubens, il ne vint jamais dans la capitale mais sa réputation y est bien établie dès le début du XVIIIe siècle, portée par le triomphe des coloristes. Il était donc temps de lui donner l’occasion de défendre sa cause, de présenter pleinement le développement de son art au-delà du seul parallèle avec les toiles de l’autre gloire d’Anvers, Rubens (1577-1640), dont Jordaens (1593-1678) reprit à sa manière le flambeau durant les décennies suivantes.
On ne saurait réduire Jordaens au rôle de l’oncle bon-vivant dont l’existence se confond dans nos souvenirs avec celle des banquets de famille. Oui, Jordaens sait mieux qu’aucun autre rendre compte d’un esprit flamand truculent, poussant parfois à l’excès – pour notre oeil moderne – la grâce plantureuse de ses modèles. Mise en avant par une historiographie qui en a fait le porte-drapeau d’une identité traditionnelle que la carrière trop internationale de Rubens et de Van Dyck ne pouvaient porter, cette verve sans égale n’exclut pas toute recherche esthétique complexe ni toute culture. L’exposition « Jordaens et l’Antique » qui vient de s’achever à Cassel après Bruxelles a su tordre le cou à ce cliché en brossant le portrait inattendu d’un grand bourgeois anversois, épris d’histoire ancienne et de mythologie.
Le propos est plus général à Paris où l’on ne se privera pas du plaisir d’admirer les proverbes de Jordaens, ni même de comparer les versions du Roi boit ! ou de « Comme les vieux ont chanté, ainsi les jeunes jouent de la flûte ». Mais les autres facettes de son art brillent ici tout autant, du portraitiste au décorateur de fêtes, du grand peintre religieux des églises de la Contre-Réforme au cartonnier pour les manufactures de tapisseries de Bruxelles, sans oublier son rôle de chef d’atelier quand, pour répondre aux commandes qui affluent, il doit s’entourer de collaborateurs.
Heureux de participer à cette réhabilitation de Jordaens, les prêteurs ont fait montre d’une générosité exceptionnelle. Ce sont aux liens tissés avec les Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles que nous devons certains des plus beaux prêts de l’exposition. Au-delà des musée d’Anvers et de Gand, sans la collaboration desquels rien n’aurait été possible non plus, il est difficile de nommer toutes les institutions et collections sollicitées, du Prado au Palazzo Pitti et à la Pinacothèque Brera, de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg au Kunsthistorisches Museum de Vienne, de Cassel, Cologne, Karlsruhe et Munich à Edimbourg, Glasgow et Southampton, de Stockholm et Budapest à Jérusalem ou Toledo, du prince de Lichtenstein à l’évêque d’Arras, sans oublier les nombreux musées français et les collectionneurs qui se sont dessaisis de chefs-d’oeuvre, souvent de grands formats. Tous se sont associés pour que l’exposition ne soit pas que le triomphe de la chair et de la bonne chair mais celui d’un artiste raffiné, plus varié qu’on ne l’a cru, ce coloriste éblouissant jusque dans ses dessins, domaine dans lequel le Louvre a été particulièrement généreux ainsi que le musée de Besançon et la fondation Custodia.
Reste à espérer que la réunion de ces tableaux, dessins et tapisseries saura convaincre un large public des vertus de l’abondance en ces temps de rigueur pour tous. Il est d’autres voies que la tyrannie du « Less is more » (moins est plus) des modernistes du siècle dernier : les rondeurs de l’architecture exubérante du Petit Palais ne se prêtent guère aux démonstrations d’ascèse. Puisse Jordaens lui rendre l’air de fête de son décor d’origine. Christophe Leribault, directeur du Petit Palais
Le parti pris scénographique : entre monumentalité et humanité
L’exposition consacrée à Jacques Jordaens s’ouvre par l’évocation de la ville d’Anvers, où Jordaens vécut tout au long de sa vie. Son oeuvre est présentée à travers ses peintures à l’huile de grandes dimensions, accompagnées d’éléments d’approfondissement sous forme de textes, cartels développés, cabinet des curiosités. Deux salles spécifiques évoquent l’ambiance des maisons bourgeoises et des ateliers de peinture de l’Anvers du XVIIe siècle.
L’oeuvre de Jordaens révèle deux qualités qui pourraient paraître contradictoires : une évidente monumentalité, dans les formats ainsi que dans les compositions, mais également une grande humanité dans le traitement des sujets représentés.
Le travail de mise en scène de ses tableaux se tisse autour de ces deux aspects, en proposant deux types d’espaces qui se succèdent le long du parcours :
- des espaces structurés selon un axe, notamment dans la Galerie Seine, où une toile emblématique occupe la place centrale dans la perspective (sections II et III)
- des espaces plus déstructurés où le visiteur va à la rencontre des magnifiques compositions de Jordaens selon un parcours plus libre (notamment sections IV et V, qui regroupent les chefs d’oeuvre du peintre)
Les oeuvres graphiques, regroupées autant que possible dans des véritables cabinets de dessin, ainsi que les projections ajoutent des éléments qui rythment le parcours en rendant l’exposition agréable et variée.Des gravures agrandies à l’échelle de la paroi jouent sur le contraste avec la peinture du maitre, dense et charnelle.
Scénographie :
bGcstudio Iva Berthon Gajsak et Giovanna Comana, architectes.
- Exposition du 19 septembre 2013-19 janvier 2014
PETIT PALAIS
- Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
- Avenue Winston Churchill – 75008 Paris
- www.petitpalais.paris.fr