Interview-Rencontre avec Jeff Garner le créateur de la marque Prophetik

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    Diana Espir et Jeff Garner
    Diana Espir et Jeff Garner

    Amoureux de l’histoire de France, Jeff Garner a présenté dans le très beau cadre du château de Fontainebleau et pour la première fois dans notre pays, sa collection de prêt à porter printemps été 2014. Atypique, Jeff Garner est un personnage qui ne laissera personne indifférent, de part ses origines le Tennessee où il possède une grande ferme d’élevage et d’autre part, dans son approche très philosophique de la mode, éthique et équitable dans son mode de production et enfin dans son amour de la nature. Considéré par la presse américaine comme un “Dandy Visionnaire”, Jeff Garner a fait le choix de créer ses collections à contre courant, dans un temps et une époque qui lui conviennent et loin de toutes les convenances habituellement rencontrées dans les milieux de la mode. Sa dernière collection intitulée “Dreamer’s Cure” est constituée de 40 pièces uniques, chacune d’entres-elles, rendant hommage aux esprits inventifs, qu’étaient Léonard de Vinci et Ernest Hemingway. Comme l’indique Jeff Garner, la collection “Dreamer’s Cure” propose une forme de voyage rétrospectif dans le temps, de par ses coupes et ses couleurs imaginées, mais aussi par le résultat de ses méthodes de fabrication venant d’une autre époque. artsixmic présent lors de ce premier défilé est allé à la rencontre de Jeff Garner pour en savoir davantage sur ce délicieux personnage mais aussi,  afin de vous faire découvrir sa marque Prophetik.

    artsixmic : Bonjour Jeff Garner, qui est Jeff Garner, d’ou vient-il, que fait-il ? Pouvez vous s’il vous plaît, vous présentez en quelques mots ?

    Jeff Garner: Bien sûr, je m’appelle Jeff Garner, je suis styliste . Je viens du Tennessee et j’ai créé la ligne Prophetik Clothing. Je suis né et j’ai grandi dans un haras. Je suis à Paris pour mon premier défilé à la fashion week. Cela fait une douzaine d’années que je dessine des vêtements et je cherche à mettre en valeur les atouts de la mode équitable et écologique, en créant une ligne originale et innovante.

    On dit de Jeff Garner, qu’il est un « Un Américain à Paris » Quel genre d’Américain à Paris êtes vous, façon Hemingway, façon Tenessee, façon Jeff Garner ?

    J-G: Un américain à Paris, oui (rires). C’est vrai qu’ Hemingway m’a beaucoup inspiré dans la réalisation de ma collection, j’ai donc, tout comme lui, essayé de m’imprégner de la culture environnementale et de m’adapter à des courants d’idées différents de ceux de mon milieu d’origine ; j’ai participé à une chasse à courre en forêt de  Fontainebleau et c’était super; j’ai beaucoup apprécié les chasseurs qui soufflaient dans leurs cors et le délicieux festin qui en a suivit. Contrairement à la plupart des américains, Hemingway s’est toujours imprégné des cultures environnantes et j’essaie de faire comme lui en rencontrant et en parlant avec les autres. Et puis, défiler à la fahsion-week de Paris est un moment important dans ma carrière pour faire connaître ma collection de vêtements équitables.

    Vous êtes le créateur de la marque Prophetik, comment se nom vous est-il venu ?

    J-G: J’ai eu une vision il y a environ douze ans quand je travaillais avec Fleetwood Mac et Donna Summer en tant que directeur artistique; je dessinais leurs vêtements de scène, j’assurais leur marketing, j’organisais leurs tournées, leurs relations avec la presse… De là m’est venue l’idée de créer ma propre ligne de vêtements;  je les ai donc quittés et  j’ai commencé à travailler avec des designers tel Calvin Klein. J’ai beaucoup appris avec eux,   puis j’ai créé Prophetik.  Je voulais un nom qui ait de la profondeur, de l’âme parce que je voulais que mes créations se démarquent dans le  monde de la mode. J’ai prêté attention non seulement au design de mes vêtements mais aussi à leur mode de fabrication.

    Vous êtes aussi un chercheur de couleur, de nouvelles couleurs, pour teinter vos tissus, vos créations, et vous avez créer un procédé unique pour enrichir vos palettes de colorants, je précise « naturels » qu’apporte ces recherches dans vos créations ?

    J-G: Oui, oui, dans un rêve, comme si j’avais une vision, je pouvais y voir toutes mes idées de vêtements, et ce rêve ne s’éffaçait pas tant que je ne l’avais pas réalisé; et depuis ce jour tout n’a été qu’une suite d’évènements naturels qui se sont enchaînés, chaque saison faisant évoluer et grandir la marque , en essayant  tout à la fois de rester très à l’écoute de ce  qui m’entoure et ce que je ressens au fond de moi, ce qui pour moi est très important… Je dirais que ça a marché plutôt bien jusqu’à maintenant (rires).

    Vous déclarez «  Rejeter les normes de production contemporaine rend la création plus difficile, plus lente et plus chère » puis vous dites, que c’était le prix à payer pour lancer Prophetik ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces déclarations ?

    J-G: A mes débuts dans le monde de la mode, j’ai appris le processus de la teinture, qui généralement est un processus chimique, et qui est utilisé par la plupart des marques . Quand j’ai découvert quels étaient les différents produits utilisés j’ai pris conscience du fait qu’il fallait que je trouve une alternative, pour pouvoir faire ce que j’aimais sans nuire à l’environnement naturel dans lequel j’avais grandi.. Donc il fallait soit que j’arrête ce que j’étais en train de faire, soit trouver une autre solution pour que cela soit réalisable. Alors je suis parti étudier à Florence pendant deux ans et j’ai appris comment teindre les textiles de manière traditionnelle à l’aide de plantes, de racines , d’indigo japonais, et d’autres couleurs naturelles extraites d’éléments végétaux.

     Manipuler les couleurs tel un scientifique, les explorer avec amusement  m’ont permis de développer ainsi ma propre palette . Au début, une grande partie de mes couleurs était des erreurs, mais c’est justement en recomposant ce processus d’erreur que j’ai pu les obtenir à nouveau. C’est très différent des teintures chimique où vous il suffit de choisir un numéro pour obtenir la couleur désirée. En tant que créateur je trouve cela très frustrant, et au final  les gens apprécient de faire la différence entre les éléments chimiques et les éléments naturels , ces derniers permettant d’obtenir des dégradés et des couleurs uniques. Et puis en tant qu’artiste, faire des erreurs est toujours  intéressant!

    Vous avez été élu en 2010 par le magazine GQ, « Eco-Designer » de l’année, ce n’est pas le prix le plus attendu lorsque l’on exerce dans le domaine de la mode ?

    J-G: Oui, comme toujours, aller à contre-courant de manière commerciale tout en ouvrant une nouvelle voie est toujours un peu  difficile, et un peu plus cher, car lorsque,  vous êtes le premier,  vous devez donc vous investir véritablement et totalement. Je ne suis pas le seul a faire des teintures naturelles, mais je suis le seul à promouvoir  sur les podiums et dans la production des collections qui le sont à 100%. Pour cela, je dois faire pousser mes propres plantes, les récolter, puis créer les couleurs avant de commencer mes teintures, ce qui est un processus qui demande  beaucoup de travail et qui est plus long et plus coûteux que celui de mes concurrents qui  utilisent des teintures  chimiques, ce qui ne leur prend qu’un seul jour.

     Cela limite aussi le choix des textiles que j’ai à ma disposition, mais c’est une autre façon d’envisager les choses, cela reste des collections de luxe, mais elles sont produites de façon équitable. Actuellement peu de créateur intégrant ces principes dans leurs productions,  j’ai ainsi été récompensé pour avoir fait une collection pour les femmes  qui soit dans cette idée de l’équitable et du responsable.

    Je pense qu’au final,  le  plus important est de réaliser un vêtement esthétique et agréable à porter et dont je puisse être fier dans un cadre qui respecte l’environnement. Cela provoque souvent un effet d’étonnement, et les acheteurs apprécient aussi le fait que mes créations sont produites en nombre limité .

    Ces principes sont très importants pour moi car ils me rattachent à mes origines; c’est ma manière de fonctionner, de penser, et sans cela je ne serais pas un créateur de mode.

    Le Tennessee à été le théâtre de batailles très violentes durant la guerre de Sécession et le Tennessee était un état du sud pro-esclavagiste. Vos collections rappellent une mode plutôt « conservatrice » celles-ci ne sont elles pas dans leurs conceptions en opposition avec votre personnalité ou sont-elles une autre manière pour vous que l’homme se fait avec l’histoire ?

    J-G : Je pense, en tant qu’ artiste, que chacun est rattaché d’une manière ou d’une autre à son histoire, et ayant grandit dans le sud des Etats-Unis, le Tennessee a été un état relativement divisé, il était un peu entre-deux camps durant la guerre, mais nous avons toujours travaillé en tenant compte des tendances antérieures, nous prenions exemple sur la mode plus ancienne et la refaçonnions à notre manière pour en faire une nouvelle, ceci est en quelque sorte un processus de recyclage; j’ai ainsi utilisé du tressage dans une de mes collections, et c’est ma grand-mère qui m’avait appris à tresser. Donc d’une certaine manière je suis fidèle à la tradition, mais ayant vécu en Europe je suis également  inspiré par d’ autres façons de travailler donc j’ai réalisé en quelque sorte un mélange de toutes ces différentes techniques pour arriver là où je suis actuellement.

     Je reste quand même attiré par la féminité des robes et uniformes que portaient les femmes de cette époque dans le sud ainsi que par l’ élégance des hommes  et je pense que quelque soit la culture il y a toujours une manière élégante de se vêtir, de respecter les vêtements et la manière de se présenter en public, quelque soit la classe dont on est issu.

    Est-ce une sorte de challenge que de représenter cela au Tennessee ?

    J-G:  Oui c’est drôle, beaucoup de gens me demandent si nous portons des chaussures au Tennessee ! (rires) Ils pensent que nous ne portons que des sweaters et pas de chaussures! C’est un challenge, mais bon: qu’est-ce qui dans la vie n’est pas un challenge?

    Premier défilé en France, comme toutes les premières fois, comment ressentez-vous cette première fois ?

    J-G: J’ai l’impression que Paris a vraiment apprécié ma présentation, l’histoire que je leur ai présentée; j’ai été interviewé hier pour la télévision et on a parlé de cette tendance qu’on les designers actuellement de mettre en scène leurs défilés, d’une certaine manière comme pour accentuer la vision de l’artiste; la collection veut faire passer un message et n’est plus seulement un défilé de vêtements. .

     Pour moi,tel un peintre, mes textiles sont ma toile, et je dois  exprimer en 22 minutes sur le podium ce que j’ai mis 6 mois à préparer! Faire un défilé en France est une expérience toute nouvelle et complètement différente de ce que j’ai pu faire auparavant, c’était vraiment une très belle expérience, surement le plus gros challenge que j’ai eu à relever jusqu’à maintenant, non pas seulement pour une question de langage, mais aussi pour respecter et comprendre la culture et comment les gens travaillent ici durant cette fashion-week par rapport à Londres ou à New York, où tout le monde à une manière différente de fonctionner, mais je pense que la collection Dreamers Cure avait entièrement sa place ici à Paris.

    Dans la multitude de créateur de mode français, avez-vous un maître en particulier , ou un ou des créateurs qui vous inspirent ou qui vous parlent un peu plus ?

    J-G: Oui, j’ai beaucoup de respect pour Hermès, ils ont une très bonne main-d’oeuvre, du travail fait à la main, ils ont très bien réussi à traduire la tradition familiale de leur collection à travers les années, donc je les respecte vraiment pour cela. En ce qui concerne les mentors, j’en ai plutôt eu en Californie, comme j’ai dit Calvin Klein par exemple et Johan Lindeberg qui est un designer suédois qui m’a appris l’importance du détail, comme les coutures dans les revers de veste, ce qui révèle l’importance qu’a un vêtement pour la personne qui le porte.

    Votre collection s’appelle « Dreamer’s Cure » et elle est un hommage à la fois à Léonard de Vinci mais aussi à Ernest Hemingway, mais elle est aussi marqué par le temps, par l’histoire, et par le Tennessee, vous dites « une forme de voyage rétrospectif dans le temps »

    J-G: Toute cette collection pour moi a été le fruit d’un rêve, d’une vision. Quand on regarde Hemingway ou De Vinci,leur ‘esprit inventif et créatif , tout  ce chemin qu’ils ont parcouru pour atteindre leurs objectifs.. Hemingway est venu chercher l’aventure à Paris et a appris à quel point c’était difficile. Donc à travers ma collection j’ai introduit beaucoup  d’armatures en métal recyclé pour créer des formes et des fonctions et cela  m’est venu de l’énergie de De Vinci, sa manière de résoudre des problèmes, j’ai traduit cela de cette manière. J’aime beaucoup voyager dans le temps, si seulement les gens se déplaçaient toujours à cheval! Le monde serait totalement différent !

    Quel est votre coeur de cible en ce qui concerne vos ventes, a quel type de clientèle vous adressez-vous ?

    J-G:  Mes clients sont des gens qui vont à des bals ou qui arpentent les tapis rouges, beaucoup d’acteurs, d’actrices font partie de ma clientèle. Pour ce qui est produit et en vente dans les boutiques de luxe comme Fred Seagle à Los Angeles où dans bien d’autres boutiques de part le monde,  ma clientèle y est beaucoup plus éclectique. De fait j’aime particulièrement créé pour les femmes qui aiment se sentir vêtues comme des princesses, et je fais de même aussi en ce qui concerne les robes de mariées.

    Cela peut être des adolescentes qui veulent s’habiller pour des rendez-vous galants, jusqu’à une fillette de six ans qui fait du cheval habillée en robe et qui tire des coups de fusil depuis son cheval au fin fond du Texas, donc ça varie énormément. Cela peut être aussi des gens qui comprennent l’importance d’un vêtement fait de matériaux équitables, aux gens qui voient d’abord la beauté artistique de l’habit. Il y a aussi des collectionneurs qui les exposent chez-eux, mais aussi comme par exemple le Smithsonian Muséum à Washington ou le Tennessee State Museum qui ont montré quelques unes de mes pièces dans leurs expositions. Au final, je pense que certaines personnes apprécient mes créations en tant qu’œuvres d’art, et  comme je les conçois comme telles, je suis heureux et flatté d’être compris.

    Vos collections vont-elle être prochainement distribuée en France ?

    J-G: Oui, cela fait partie de mes projets, et puis j’espère aussi bientôt ouvrir à Paris ma première boutique!

    Merci, Jeff Garner d’avoir bien voulu répondre, aux questions d’artsixmic

    Interview- Rencontre avec Jeff Garner et le défilé Dreamer’s Cure

     

    Photo by jean Marc Lebeaupin pour artsixmic