Suite à un don exceptionnel de 45 oeuvres de la succession Darger en 2012-2013, le Musée d’Art Moderne de Paris consacre une exposition à cette figure mythique du XXe siècle.
L’exposition qui a débuté le vendredi 29 mai prend place au MAM jusqu’au dimanche 11 octobre 2015.
Peintre, dessinateur et écrivain, Darger (1892-1973) est un phénomène qui a inspiré des générations d’artistes parmi lesquels les frères Chapman, Paul Chan ou Peter Coffin et fascine depuis plusieurs années de grands auteurs contemporains tel Jesse Kellerman ou Xavier Mauméjean.
La biographie de Henry Darger est fondée en grande partie sur le récit qu’il en fait lui-même dans son autobiographie The History of my life, écrite entre 1968 et 1972.
Il y décrit avec une actualité déconcertante son enfance, une jeunesse difficile et une vie adulte dénuée de tout événement particulier.
Etrangement avare en analyses et réflexions introspectives, ce texte ne dit rien non plus de son oeuvre artistique.
Henry Darger naît en 1892, à Chicago, dans une famille d’immigrés allemands. Quand sa mère meurt, en donnant naissance à une fille, il n’a pas encore soufflé sa 4ème bougie. Il ne connaîtra jamais sa petite soeur car elle sera immédiatement confiée à une famille adoptive.
Il passe son enfance, qu’il décrit comme heureuse, avec son père, qui lui apprend à lire. Enfant, son activité principale est la lecture de journaux et des livres, qu’il reçoit comme cadeaux pour Noël.
Ses centres d’intérêts sont aux antipodes de ceux des enfants de son âge.
La météo le passionne, il enregistre avec une mémoire précise les phénomènes inhabituels tels que tempête, neige violente ou températures extrêmes.
Il est aussi fasciné par le feu et va, à plusieurs reprises, observer les incendies qui touchent les maisons du quartier insalubre où il habite.
Il est également obsédé par l’apocalypse, omniprésente dans ses peintures. Ces trois éléments donnent lieu à des scènes d’une violence extrême, avec une sexualité latente tout à fait explicite.
Pour d’obscures raisons, en 1905, son père l’abandonne et le place dans un institut pour autistes et déficients mentaux, où il subit de mauvais traitements. Les surveillants y sont sévères, les patients maltraités et torturés. C’est pourquoi, à 16 ans il décide de s’enfuir de ce qu’il appelle « L’asile » et se rend, à pied, dans sa ville natale : Chicago, qu’il ne quittera plus jamais.
Il vivra de petits boulots dans les hôpitaux où il fait le ménage. Dans les années 60 et jusqu’à sa mort, Henry Darger est seul, reclus, ne sort quasiment jamais, sauf pour se sustenter où se rendre à l’église. Son isolement et son aspect peu soigné suscitent la compassion de certains voisins, comme le photographe David Berglund et son épouse Besty, qui s’occupent de lui quand il est malade.
En 1972, un an avant sa mort, Henry Darger appelle à l’aide le propriétaire de son appartement et à sa demande, son locateur, Nathan Lerner, le place dans un hospice, celui où Darger-père a passé la fin de sa vie.
David Berglund, chargé par Nathan Lerner de vider la chambre de l’artiste, découvre enfin son œuvre et en fait part à ce dernier qui décide de conserver l’ensemble des écrits et des peintures…
Darger meurt en 1973 à l’âge de 81 ans.
Toutes ces années durant, Henry Darger a réalisé une œuvre littéraire et picturale dans le plus grand secret, pendant son temps libre, le plus souvent la nuit.
Son roman de plus de 15.000 pages, dont le récit épique, The Story of the Vivian Girls, in What is known as the Realms of the Unreal, of the Glandeco-Angelinnian War Storm, Caused by the Child Slave Rebellion est illustré par de grandes compositions (dessins, aquarelles, collages). Cette épopée, écrite trente années durant, relate l’histoire d’une guerre sans fin ayant pour origine la rébellion des enfants opprimés par le peuple des Glandéliniens. Une révolte soutenue par les Angéliniens qui compte les aventures des héroïnes, sept petites filles appelées les Vivian Girls,.
Henry Darger n’a jamais été militaire, et pourtant, la source principale de son inspiration est la guerre, particulièrement celle de sécession dont il a une vision héroïque. C’est cet imaginaire militaire empli de fantasmes qui a nourrit l’intégralité de son œuvre.
Son roman aux plus de 15.000 pages se situe dans différents territoires rattachés à un continent imaginaire, dont il est le narrateur implanté au beau milieu de la bataille.
Il invente des noms, des états de méchants, des sectes, des gentils et symboliquement, chaque contrée à son propre drapeau. Dans le but de créer des scènes narratives crédibles, il réalise des portraits individuels de généraux – comme Nicolas II – avec des noms plus invraisemblables les uns que les autres. Il s’inspire de dessins de presse qu’il décalque puis colonise, d’où ce trait violacé dû a l’usage du papier carbone sur ses dessins. Dans ses panoramas, des créatures hybrides très colorées, des petites filles, des scouts et des généraux se font la guerre.
Et dans ce monde alambiqué où les régions deviennent parfois des Etats, l’artiste lui-même peine à se repérer comme le trahissent les nombreuses variations orthographiques en tout genre !
Ecrite sur trois décennies, la saga littéraire d’Henry Darger est aussi unique que diluvienne !
Finalement, cet homme étrange, sale, peu communicant , accumulateur, qui fouillait les poubelles à la recherche d’objets, a traversé le vingtième siècle tel un ovni, avec une force créatrice d’une extravagance peu commune.