Hanieh Delecroix s’est intéressée aux écrits de Joyce Mansour car la question de la création et de la destruction est centrale dans son travail. Cela l’a menée à s’interroger sur la notion de l’image des limites du corps et d’élaborer autour de L’Enveloppe (la peau) et de la Pénétration (fragilité de cette peau attaquée).
Toutes ces blessures, ces saignements que l’on retrouve dans les textes et poèmes de Joyce Mansour, expriment d’après l’artiste, l’éclatement, la pénétration et le dépouillement de la surface corporelle. Quand elle évoque les bouches ouvertes, les orifices du corps avec les substances liquides, ce sont les voies et modes de pénétration à l’intérieur ou encore les voies et modes d’expulsion de l’intérieur vers l’extérieur qui sont signi!és d’après l’artiste clinicienne.
La représentation de la surface d’une chose comme perméable et fragile est notifiée dans ses proses ou ses poèmes par les surfaces flétries, fanées et détériorées. En effet, Hanieh Delecroix a interprété la pensée de Joyce Mansour au regard de la théorie psychanalytique du «Moi Peau» développée par Didier Anzieu (Edition Dunod, 1985), pour comprendre Joyce Mansour, ses expériences de satisfaction et les épreuves de la sou”rance à travers ses écrits.
«L’intégrité de l’enveloppe corporelle est mise à mal avec l’image d’un corps perforable et une angoisse d’écoulement de la surface vitale par les orifices. C’est l’angoisse de vidange.
Ce qui m’a également interpelé dans les écrits de Joyce Mansour, c’est la répétition de certains thèmes et de mots. Quand on sait que le propre même du traumatique et son syndrome central est la compulsion de répétition, cela m’amène incontestablement à travailler la question de la pulsion de mort. Or, la destructivité est une manifestation propre à la pulsion de mort, elle la représente. La pulsion de mort dans son oeuvre, je la comprends comme une défense contre la sou!rance» précise t-elle. «On voit très bien, à travers les poèmes de Joyce Mansour, combien les destins mortifères de la passion amoureuse cherchent l’union avec l’autre et l’importance du transfert de la charge libidinale sur l’objet.»
Spécialisée également dans la théorie de l’attachement (Hanieh Tabatabaei, Editions EDK, L’attachement : perspectives actuelles, Les destins de l’attachement à l’adolescence, 2000), c’est dans un mouvement thérapeutique et de réparation que l’artiste a nommé cette série de travaux « panser ». Bien qu’elle prenne en compte la notion du traumatisme en écrivant de façon répétée les mots sur ses toiles, elle choisit des mots doux et jolis dans un mouvement de tendresse. Dans ses tableaux, certains mots se lisent en « miroir » pour venir souligner toute la symbolique de ce terme, aussi bien dans la théorie psychanalytique que dans le langage courant. Un jeu de miroir aussi à comprendre entre Joyce Mansour et Hanieh Delecroix.
Les six films réalisés avec Sylvia Santana ne se sont pas penchés cette fois sur les poèmes, mais sur les proses écrites par Joyce Mansour. Chaque film est en trois temps, et symbolise la triangulation névrotique. Les textes de Joyce sont suggérés en image. Les images peuvent être floues et le son est saturé.
Des images décalées et suggestives qui donnent un ton surréaliste aux travaux des vidéastes. Les films ne s’inscrivent pas dans un contexte réaliste et représentent le fonctionnement de la pensée et des écritures de Joyce. Les films, comme les toiles, sont élaborés avec la même fonction de «panser» et, les images, toujours dans un mouvement de réparation, restent fortes et tendres à la fois.
Voir aussi sur artsixMic : Hanieh Delecroix
Photo : Série Panser Joyce à mi-maux 2013 – C’était demain Acrylique sur papier calque 100 x 65 cm © Hanieh Delecroix
Exposition jusqu’au 28 février 2015
Regard Sud galerie
1/3, rue des Pierres Plantées
69001 Lyon
www.regardsud.com