Chaque soir à la nuit tombée, lorsque cessent les tirs de grenades lacrymogènes et les jets de pierres entre policiers et migrants, le spectacle sur la scène de fortune du Good Chance Theatre peut enfin s’ouvrir.
C’est là, au sein du bidonville de Calais où quelques 4500 personnes vivent dans l’espoir d’un éventuel départ pour l’Angleterre que, depuis presque trois mois, « Joe et Joe », deux artistes britanniques, animent un théâtre de toile, entre la zone des Afghans et celle des Soudanais, au-delà de la petite Erythrée, petit théâtre qui émerge entre les baraques et les tentes érigées dans la boue, et qui, depuis sa création, a reçu le soutien de plusieurs grandes compagnies de théâtre, telle la Cour royale, le Young Vic, et producteur Sonia Friedman. Les deux dramaturges anglais ont pris conscience de ce que vivaient ces milliers de migrants dans l’indifférence totale alors qu’ils étaient eux-mêmes à la recherche d’arguments pour alimenter leur prochaine pièce sur le sujet.
“Et comment pourrait-on se sentir concerné, si on ne sait même pas qui sont ces gens ?“, interroge Joe Murphy. “C’est là que le théâtre intervient : cela permet à ces réfugiés de raconter leurs histoires. Nous ne sommes pas des militants, nous donnons juste à ces gens la possibilité d’expliquer au monde qui ils sont”, à travers les comptes Twitter, Instagram et Facebook du “Good Chance Theatre”.
Chaque soir, les migrants jouent ; il s’agit parfois de véritables pièces, parfois ce sont des spectacles qui s’improvisent, la musique rythmant les paroles, ces dernières déclenchant parfois des éclats de rire donnant des élans de légèreté à l’ambiance oppressante du camp. “C’est devenu l’endroit où toutes les nationalités se croisent, où on vient échanger les nouvelles. C’est là que s’est formé un rassemblement spontané en solidarité avec les attentats de Paris“, explique Joe Murphy.
“La vie du camp est à la fois désespérante et stimulante“, ajoute-t-il, “On a besoin de 28.000 euros pour passer l’hiver avec le théâtre, mais leur courage et leur débrouillardise nous incitent à continuer“. C’est pour cela que les fondateurs Joe Murphy et Joe Robertson viennent de lancer une campagne de crowdfunding visant à amasser au moins £ 20,000, afin que le théâtre puisse survivre pendant encore au moins deux mois.
Les fonds recueillis seront consacrés à des dépenses nécessaires aux ateliers et répétitions, à l’élaboration d’un nouveau foyer pour le théâtre et à l’imperméabilisation de la tente, indispensable avec l’hiver qui approche. https://crowdfunding.justgiving.com/good-chance
Dix-sept réfugiés sont morts en tentant de grimper à bord de camions pour passer la frontière depuis le mois de juin. Face au désespoir de ceux qui restent, de ceux qui ont perdu les leurs, «Le théâtre est un endroit sûr, chaleureux et ouvert pour les gens d’exprimer, trouver le soulagement ou simplement se divertir. Il est un espace précieux et nécessaire dans le camp. Nous voulons continuer à surprendre et à faire du travail un antidote à l’incertitude et le manque de structure qui est une partie de la vie quotidienne dans la jungle “, comme l’exhortent Murphy et Robertson qui annoncent que dans les prochains mois, des productions hebdomadaires créées par des personnes vivant dans le camp seront mises en scène et accueilleront des spectacles professionnels en tournée.
En attendant que cette somme soit réunie, le musicien Jordi Savall, rendu célèbre pour avoir assuré la direction musicale du film “Tous les matins du monde“, donnera le 17 décembre des concerts dans la “Jungle” de Calais et dans une église en hommage aux migrants.
The Good Chance Calais : https://www.facebook.com/GoodChanceCalais.2015/