« J’aime presque mieux photographier des mains que des visages. Nos expressions faciales sont un code, que nous utilisons dans nos rapports avec des personnes de notre entourage, mais aussi avec des gens qui ne parlent pas notre langue et mêmes avec des créatures d’autres espèces – nos animaux domestiques par exemple. Donc des instruments pour manipuler l’autre – une chose que nous savons très bien faire, et depuis notre plus jeune âge. Même un nourrisson sait obtenir ce qu’il n’est même pas conscient de vouloir, au moyen d’un sourire ou d’une grimace.
C’est pourquoi il m’arrive de me moquer un peu de certains de mes confrères, qui croient “créer un contact avec leur modèle” ou, mieux encore, “dévoiler sa vérité”, en lui demandant de regarder intensément l’objectif. Comme si les expressions de nos yeux – ou les attitudes de nos lèvres, les inflexions de nos cous, de nos mâchoires, des rides de nos figures – n’étaient pas l’arsenal de toutes nos feintes !
Je crois dévoiler bien plus en photographiant le dos d’une personne, et plus encore ses mains, ces organes qui en disent tant – mais sans que la personne à qui elles appartiennent ne les contrôle, et surtout sans qu’elle ne sache précisément ce qu’elles expriment. En somme, je préfère photographier des manifestations par lesquelles je ne me sens pas manipulé (comme je peux me sentir manipulé par les expressions d’un visage.)
Mais photographier mes propres mains, c’est une autre histoire… Il m’arrive de les considérer attentivement, un peu parce qu’elles sont parfois (par exemple à mon réveil) le premier objet qui se présente à mes yeux. Et aussi parce que, quand elles se touchent ou se réunissent, elles me font penser à la rencontre de deux personnes. Mais surtout parce qu’elles sont, à la fois, des parties de moi et des objets de mon regard, et que rien n’est plus intéressant – dixit Montaigne – que l’étude de nous-mêmes. À cela s’ajoute qu’elles me parlent, avec plus d’éloquence que je ne le souhaiterais, de mon âge et des dégradations qu’il entraîne, et que ce discours ne peut me laisser indifférent.
Mais ce qui me paraît le plus remarquable est la situation photographique qui en résulte : je suis à la fois le photographe et le modèle, le metteur en scène et le comédien, le voyeur et sa proie : je m’observe du dehors et je me dirige du dedans. Ou mieux : je me manipule moi-même.
Cette acrobatie est devenue possible grâce à mon compact numérique, utilisé en mode “retardateur” et placé sur un mini-trépied, à mi-distance entre mes yeux et mes mains. Car mon problème est qu’il me faudrait une troisième main… Je pourrais demander l’aide d’une autre personne, mais je tiens à l’intimité avec mon sujet. J’ai essayé un déclencheur souple actionné par mes dents – mais ils n’ont pas la délicatesse du doigt. J’ai pensé à un wi-fi – mais je n’ai pas trouvé ce qu’il fallait. J’ai donc fini par me rabattre sur le procédé – un peu laborieux – de trouver d’abord une bonne position pour mes doigts, puis d’essayer de m’en souvenir, puis de reprendre l’usage de ma droite pour déclencher le retardateur et enfin d’employer les dix secondes qui me restent pour remettre ma main dans une position aussi ressemblante que possible à celle que j’avais trouvée. Cela ne réussit pas toujours, mais parfois mes erreurs ont donné des bonnes surprises. » Frank Horvat
- Exposition du 23 mai au 27 juillet 2013
Galerie Dina Vierny
- Olivier LORQUIN
- 36 Rue Jacob
- 75006 Paris