Face à une oeuvre comme Dérives d’Émilie Brout et Maxime Marion, on aura le droit de se sentir un peu submergé. 2000 séquences, tirées de toute l’histoire cinématographique, sont montées les unes après les autres par une machine qui en génère sans fin un film : un seul, un film infini. Ce film aura comme personnage principal l’image de l’eau. À part une éventuelle coupure de courant, le film ne s’arrête jamais, préférant plutôt ralentir — voire stagner —, avec des images d’étangs, de flaques ou de verres d’eau, avant de reprendre à travers des larmes ou de la bruine qui mèneront inévitablement à des averses suivies de tempêtes, d’attaques de requins et de tsunamis, pour se ralentir de nouveau dans un petit ruisseau d’images calmes avant de repartir encore pour un tour. C’est un flux permanent, incessant, qui monte, descend et remonte de nouveau ; un film sans fin qui est toujours le même — un film sur l’eau — qui ne pourrait jamais être le même : un film-fluide sorti tout droit des Fragments d’Héraclite. Dérives n’a pas de durée dans son sens cinématographique classique, c’est-à-dire un temps délimité par un début et une fin du support. Néanmoins, et comme dans n’importe quel film d’ailleurs, une autre durée finit par émerger de l’image : c’est la durée générée par la conscience du spectateur. Comme un verre d’eau sucrée bergsonien (ici tenu par Mia Farrow ou Emily Watson) qui prend son temps pour se mélanger, chacun boit ces images à sa manière comme une destinée qui nous serait propre. Dérives est cette scène particulière, chacun apercevant son propre moment devant le flux et le reflux d’une image générée, là, en temps réel devant nous et pour nous, mais qui ne s’arrête pas pour nous non plus. En suivant le mouvement de l’algorithme nous arrivons à parfaitement percevoir les transitions logiques d’une séquence à l’autre, à comprendre même ces critères qui les lient, sans pour autant pouvoir arrêter le tout et voir toutes les interactions dans une unité rationnelle. Notre conscience rentre et sort de ce flux alors que le flux et le reflux de cette image perdure très objectivement dans sa propre logique et dans sa propre temporalité. Une mise en scène, algorithmique cette fois-ci, de la montée en vague des images et de l’image. Une image vague. Douglas Edric Stanley
Biographie
Émilie Brout & Maxime Marion sont diplômés des Écoles Supérieures d’Art de Nancy et d’Aix-en-Provence. A partir de 2007, ils intègrent ensemble divers laboratoires tels que l’EnsadLab, où débute leur collaboration.
Aujourd’hui ils s’intéressent principalement à des problématiques liées aux nouveaux médias, les nouvelles formes que ceux-ci permettent et les conséquences qu’ils impliquent sur notre perception et notre comportement. Leur travail se concentre particulièrement sur la confrontation des spécificités de l’analogique (sentiment de réalité, passé de l’enregistrement) à celles de la discrétisation numérique (détournement et recomposition de l’information, actualité de l’interaction). Ils cherchent ainsi aussi bien à rendre dynamique des médias traditionnels comme le cinéma, qu’inversement à synthétiser, via des dispositifs narratifs, des informations hétérogènes issues de base de données qu’ils collectent sur le web.
Leurs oeuvres ont notamment obtenu le soutien de la Fondation François Schneider, du FRAC – Collection Aquitaine et de la SCAM. Elles ont été exposées en France et en Europe, dans des lieux tels que la Fondation Vasarely à Aix-en-Provence ou le Centre pour l’Image Contemporaine à Genève, et sont représentées par la galerie 22,48 m² à Paris. Émilie Brout & Maxime Marion vivent et travaillent à Vincennes.
« Photos de vacances partagées sur FlickR et scènes emblématiques de grands succès d’Hollywood : beaucoup de matériaux utilisés par Émilie Brout et Maxime Marion nous sont familiers. On les côtoie quotidiennement sur nos téléphones intelligents sans penser que, ce faisant, on alimente des centaines de bases de données accessibles par n’importe qui sur Internet. N’importe qui ? Notamment les programmes que ce jeune duo d’artistes crée pour former, à partir de ces ressources potentiellement inépuisables et assurément bordéliques, des fictions. » Géraldine Miquelot, 2012
Dérives
Standing before a work such as Émilie Brout and Maxime Marion’s Dérives, spectators will perhaps experience a certain sensation of disorientation, of floating adrift. In the work, 2,000 images of water, excerpts from throughout the history of cinema, are edited by a machine into a single continuous sequence: an endless film. This film contains only one central character: the image of water. Excepting power failure, the film never ends, preferring instead a slow deceleration into moving images of ponds, of puddles, or a glass of water, before transforming into tears, mist, a light drizzle which eventually breaks out into a downpour, leading to thunderstorms, hurricanes, shark attacks, and tsunamis before calming back down into a light stream of images and then starting all over again. It is a constant ebb and flow, without end, that rises and falls like the tide; an endless film that is always the same — a film about water — and yet which can never be exactly the same: a fluid-film flowing straight out of the Fragments of Heraclitus.
Dérives has no “duration” in the classical cinematic sense of the term, i.e. a time delimited by the physical beginning and end of the media device. Nevertheless — and this is the case with any film —, there is yet another “duration” which emerges from the image: the duration generated by the consciousness of the spectator. Just as in Bergson’s description of sugar dissolving in a glass of water (here held by Mia Farrow or Emily Watson) and the time it takes to dissolve, each and every spectator drinks these images in their own manner, as if they were destined for us individually. Dérives is this particular scene: each and every spectator perceiving their own specific moment within the ebb and flow of an image generated here and now, before our very eyes, just for us, and yet which does not stop for us either. By following the movement of the algorithm we are perfectly capable of perceiving the logical transitions from one sequence to the next, and even of understanding the criteria which unite them; and yet incapable all the while of freezing the image as a whole and observe all its interactions in a rational unity. Our consciousness enters and exits this current while the ebb and flow of the image remains quite objectively within its own logic and its own temporal existence. A play, algorithmic in its nature, of the rising tides of images and of the image. The misty image of a wave, a vague, floating image, or, as one can only say in French, une image vague. Douglas Edric Stanley
- Exposition du exposition 26 juin au 27 juillet 2013
22,48 m²
30 rue des Envierges
75020 Paris
Tél. +33 (0) 9 81 72 26 37
www.2248m2.org