Dérives sexistes au sein de l’université et des écoles d’art, selon un rapport du Sénat

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    stop harcelement sexuel
    Affiche de la campagne 2012 pour sensibiliser et informer les citoyens à cette forme de violence

    En juin 2013, un rapport du Sénat* sur l’égalité professionnelle sur le thème “La place des femmes dans l’art et la culture” a fait état de dérives sexistes au sein de l’université et des écoles d’art où le harcèlement sexuel et moral est une triste vérité. Qu’il affecte les relations entre étudiants et professeurs ou celles entre collègues, le harcèlement sexuel y prend des formes comparables à celles des autres domaines de la vie sociale.

    Mais le contexte étudiant renforce les ambivalences : des relations particulières existent entre le doctorant et son directeur de thèse, ce dernier exerçant naturellement un certain ascendant sur son élève, voire une séduction intellectuelle,et ses appréciations étant déterminantes cela crée inévitablement une situation d’extrême dépendance qui favorise souvent d’inacceptables dérives : propos déplacés, sous-entendus sexuels, comportements ambigus, insultes sexistes pouvant aller jusqu’aux rapports sexuels parfois accompagnés de violences.

    Les faits sont d’autant plus graves que les étudiants en tant qu’usagers du service public ne bénéficient ni de la protection juridique apportée par le code du travail aux salariés, ni de la protection statutaire assurée aux agents publics. De plus, les auteurs de ces agissements comptent sur le prestige dont ils jouissent pour agir en toute impunité, leurs collègues se trouvant bien souvent dans l’embarras de sanctionner un de leurs confrères.

    Or, ces pratiques, étalées au grand jour et aux yeux de tous sur les forums Erasmus qui déconseillent fortement aux étudiants de suivre un cursus en France, compromettent le rayonnement, l’image et le prestige de notre enseignement supérieur.

    Passé plutôt inaperçu lors de sa sortie, ce rapport a été saisi par l’ANdEA ( l’association nationale des écoles d’art) qui, tout en prenant un certain recul vis à vis de ces allégations, a fait savoir, le 16 décembre dernier, sa volonté de monter une commission destinée à étudier précisément avec les acteurs-actrices des écoles d’art, la réalité des pratiques discriminatoires dans nos établissements. Parallèlement, madame Aurélie Filippetti, ministre de la culture, s’est engagée à créer un groupe de travail sur cette question. Une charte de déontologie pour éviter que les conflits ne s’étalent sur internet pourrait être proposée aux étudiants au début de leur scolarité.

    Source de culture et participant à l’exigence démocratique, artsixmic se devait de souligner l’importance de ce sujet,afin de lutter contre l’ignorance, en rendant visible l’invisible.

    *  rapport d’information du Sénat n°704 (2012-2013) de Madame Brigitte GONTHIER-MAURIN, Sénatrice

    Extrait du rapport du rapport du Sénat N°704

    LES AUDITIONS ONT MIS AU JOUR UNE PRATIQUE SCANDALEUSE APPAREMMENT GÉNÉRALISÉE : LA BANALISATION DES COMPORTEMENTS SEXISTES DANS LES ÉCOLES D’ART

    Reine Prat, entendue par la délégation dès le début des travaux du présent rapport, nous avait alertés en ces termes : « dans les écoles d’art, pour le dire schématiquement, des générations de « Lolitas » travaillent sous l’égide de mentors qui sont le plus souvent des hommes, le plus souvent d’un certain âge ». Elle avait donc estimé légitime de se demander quel rapport cela engendre et quelles dérives portent ce genre de déséquilibres.

    Les auditions ultérieures ont confirmé l’existence d’un véritable fléau, commun à l’ensemble des écoles d’art, et révélé un phénomène d’une ampleur apparemment généralisée et, ce qui apparaît plus grave aux yeux de la délégation, relativement banalisé dans le milieu.

    Giovanna Zapperi¹ précisait que l’éventail des comportements sexistes est large, allant de l’insulte sexiste ou homophobe jusqu’au harcèlement sexuel, véritable fléau qui sévit dans l’enseignement artistique. Si, à l’heure actuelle, 60 % des étudiants en écoles d’art sont des femmes, la grande majorité des directeurs et des professeurs sont des hommes.

    Ainsi, sur les 74 directeurs d’écoles supérieures d’art, de design, d’art dramatique, de cinéma et du patrimoine signataires de la tribune publiée dans Libération, intitulée « Les écoles d’art doivent garder leur singularité »², on compte moins de 10 femmes…

    Or, la proximité entre l’enseignant et l’étudiant peut déboucher sur une relation asymétrique dans laquelle l’étudiant est confronté à l’arbitraire de la part de l’enseignant.

    Mais le plus grave aux yeux de la délégation est que le sujet reste tabou au sein de l’institution, rendant impossible toute discussion sereine sur ces comportements.

    Pour Giovanna Zapperi, l’omerta sur le sujet résulte de la conjonction de plusieurs facteurs : la sous-représentation des femmes dans le corps enseignant et aux postes de direction des établissements d’enseignement artistique ainsi que l’absence d’une réflexion approfondie sur la pédagogie.

    Il ne reste donc aux étudiants d’autre alternative que de procéder à des interventions d’action directe pour « donner l’alerte » et faire cesser les agissements.

    C’est ainsi qu’à l’École nationale supérieure d’Art de Bourges, les étudiants ont recouvert les couloirs de l’école de confettis roses comportant des insultes à caractère sexuel puis ont fait retentir l’alarme anti-incendie obligeant l’ensemble des personnes présentes dans l’établissement à rejoindre la cour pour y entendre une voix ambivalente proférer, par le truchement d’un haut-parleur, les mêmes insultes que celles qui étaient inscrites sur les confettis.

    Il s’agissait, bien sûr, d’une intervention artistique et symbolique forte : dénoncer, donner l’alerte.

    Par la suite, les étudiants s’en sont expliqué dans une lettre ouverte signifiant qu’ils voulaient réagir à une série de propos sexistes tenus par des enseignants à l’encontre de certains élèves et rendre public un malaise jusqu’alors caché. Ils ajoutaient qu’un problème latent existe dans les écoles d’art en France : la normalisation d’attitudes, remarques et propos sexistes et homophobes de la part de personnes auxquelles leur statut d’enseignant confère le pouvoir de briser ou de promouvoir la carrière de leurs étudiants. Il a donc fallu ce choc salutaire au sein de l’établissement pour qu’émerge une véritable prise de conscience de l’existence de ces comportements sexistes et que les enseignants et la direction en débattent. A l’École d’art d’Avignon, un an de conflit entre une partie des étudiants et le directeur a finalement abouti à la suspension de ce dernier le 18 septembre 2012, après qu’un syndicat ait relayé les accusations de harcèlement sexuel et moral portées contre lui.

    Mais à côté de ces quelques cas, pour lesquels les étudiants ont trouvé le courage de sortir du silence et de procéder au blocage des enseignements, combien d’étudiants et d’étudiantes n’osent pas parler ? Une simple recherche sur les documents officiels et les sites internet des écoles d’art montre une volonté farouche d’ignorer le sujet.

    La délégation estime cette situation inacceptable et considère qu’il est urgent d’agir pour faire cesser ces agissements.

    Premièrement, la délégation demande aux services compétents du ministère d’engager une réflexion approfondie, avec l’ensemble des professionnels du secteur (directeurs des écoles, enseignants et représentants des étudiants) qui permette de faire remonter les problèmes, sans attendre une multiplication d’actions directes venant d’étudiants exaspérés et de proposer une charte de déontologie professionnelle sur ce sujet qui serait distribuée à tous les étudiants dès le début de leur scolarité.

    Parallèlement, il est urgent de promouvoir une meilleure représentation des femmes au sein de la direction et du corps enseignant de ces établissements. Comme pour l’ensemble des autres institutions, la délégation demande de respecter l’objectif du tiers du sexe le moins représenté pour les nominations de directeurs et le recrutement des enseignants.

    Pour faire cesser l’omerta, la délégation demande de généraliser dans toutes les écoles de formation (écoles de journalisme, écoles d’interprètes, écoles d’arts) des modules dédiés à la question du genre qui incluront une sensibilisation à la question du harcèlement sexuel et des comportements sexistes.

    Enfin, à l’occasion de l’examen du projet de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche, la délégation a déjà formulé un certain nombre de recommandations visant à lutter contre les comportements et les pratiques de harcèlement dans l’enseignement supérieur en général, et dans les écoles supérieur d’art en particulier, tendant notamment à demander le « dépaysement » de l’examen en section disciplinaire des cas de harcèlement sexuel.

    Nous les reprendrons ici, pour renforcer notre volonté de combattre efficacement ces comportements que nous jugeons inacceptables.

    Les étudiantes témoignent ainsi devoir constamment se battre contre des propos déplacés, des sous-entendus sexuels ou des comportements ambigus, tel celui d’un enseignant qui ferme la porte à clef pendant un entretien.

    Quant aux relations sexuelles entre professeurs et étudiantes, elles sont banalisées et tolérées par l’institution quelle que soit la nature de cette relation, a précisé Giovanna Zapperi : recours au sexe comme monnaie d’échange, relation occasionnelle consentie ou relations d’ordre sentimental, celles-ci existant aussi…

    1/ Giovanna Zapperi, professeure d’histoire et de théorie de l’art à l’École nationale supérieure d’Art de Bourges, chercheur associé au Centre d’histoire et de théorie des arts de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), auditionnée par la délégation le 11 avril 2013.

    2/ Publiée le 24 janvier 2013.

    Une autre partie de ce rapport porte sur un observatoire sur l’égalité hommes-femmes dans la culture et la communication. Les données mobilisées dans ce rapport portent sur la sphère culturelle en général : ministère, services déconcentrés, établissements publics, structures subventionnées, audiovisuel public, collectivités territoriales ou entreprises privées.