Christophe Cartier “Peintures 2007-2012” au Musée Paul Delouvrier

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    “Soleil couchant”, 2011, technique mixte sur toile, 162 cm X 130 cm

    Serait-ce une raison pour passer sous silence l’identité de ce peintre au moment où un musée va lui consacrer une exposition ? Je ne le crois pas, et c’est pourquoi dès à présent il faut évoquer la démarche de cet artiste dont vingt toiles abstraites, toutes réalisées depuis 2007, toutes de format « figure » (162 x 130 cm), et presque toutes « sans titre », seront présentées au musée Paul Delouvrier d’Evry du 6 au 28 octobre 2012.

    Elles entoureront un triptyque intitulé Nymphéas, ce qui n’est évidemment pas neutre, étant bien entendu que le Monet qui intéresse Cartier se préoccupait moins de représenter des fleurs aquatiques que de rendre, selon son expression, « la beauté de l’air ».

    Tout se passe comme si, au XXIe siècle, un peintre parvenu à la maturité, fort d’une œuvre se déployant sur un quart de siècle, avait entrepris de simplement peindre une réalité immatérielle, loin de tout motif identifiable (certains tableaux dits « soleil » ont été ainsi nommés après coup, l’artiste ne s’étant nullement proposé de figurer l’astre au départ).

    Cet artiste parvient à matérialiser le spectre solaire. On assiste à un mouvement kaléidoscopique empreint de superpositions de papiers transparents entre lesquels l’huile est posée par taches, par flaques, par déferlantes et par coulures retenues par une couche de vernis. Des strates qui jouent sur la transparence, pour des effets de matière sans matière. L’immersion dans la couleur supprime toute perspective. Comme dans la peinture chinoise traditionnelle, il n’y a plus ni haut ni bas, mais un plan unique pour la dilatation spatiale. Le peintre utilise des mélanges de pigments et de vernis sur feuille de papier, lesquelles sont collées couche après couche tout en préservant les transparences selon un procédé entièrement personnel. Ce qui « mesure » la profondeur de l’objet esthétique selon Christophe Cartier, c’est la profondeur d’existence à laquelle il nous convie, une profondeur corrélative de la nôtre.

    Les effets de transparence et les glacis dont ce peintre est expert offrent sans doute ce type de profondeur que Clément Greenberg appelait la « profondeur picturale » à propos des compositions purement abstraites de Jackson Pollock. Mais c’est aussi à une autre profondeur que nous invite la peinture de Cartier, celle que les phénoménologues appellent la profondeur esthétique.

    Maurice Merleau-Ponty nous a enseigné que devant l’objet esthétique, nous ne sommes ni une pure conscience au sens d’un cogito transcendantal, ni un pur regard parce que ce regard est lourd de tout ce que nous sommes. L’objet esthétique n’est à nous que si nous sommes à lui. Le sentiment esthétique qui peut naître à partir des tableaux de Christophe Cartier n’est profond que dans la mesure où ces objets nous atteignent dans tout ce qui nous constitue. Il faut prendre le temps de s’immerger en eux : non pas l’immédiateté d’une impression (qui ferait dire à certains « c’est joli » ou bien « c’est décoratif »), mais la confrontation de l’œuvre avec tout ce que nous sommes, nourri par notre passé, ce passé qui donne une densité à notre être et une pénétration à notre regard. Si bien que nous pourrons découvrir que la profondeur de l’objet esthétique se définit par cette propriété qu’il a de s’affirmer comme objet, mais aussi de se subjectiver comme source d’un monde : en l’occurrence le monde de Christophe Cartier.

    • Vernissage le samedi 6 octobre 2012 à 15 h 30

    Musée Paul Delouvrier