Ancrée dans l’atelier en Normandie, la sculpture de Cécile Raynal se déplace aussi sur des territoires de vie communautaire : le lycée, la prison, la maison de retraite, la famille, le cargo au long cours, l’hôpital… Elle témoigne des rencontres autant que des lieux où se déroulent les face à face sculptés. Ces bustes, ces figures, ces portraits imbriquent relation humaine, geste artistique, métier de vivre, corps de la sculpture et territoire spécifique.
Dans ce jeu de miroirs, la sculpture se fait porte-paroles de singularités anonymes, mais aussi questionnement sur l’identité et la représentation, l’interdépendance et la solitude. Elle est aussi un outil pour explorer le monde, entre documentaire et fiction.
Travers/ée est une rétrospective de l’oeuvre de Cécile Raynal. Cécile Raynal, au travers de bustes et portraits, réalisées au cours de ces dernières nous propose ici quelque 80 œuvres, un instantané de ses pérégrinations.
En déplaçant mon atelier je concilie deux impératifs, celui de la sculpture, et celui du voyage.
Je déplace alors mon équilibre, mon rapport au bruit ou au silence, à la solitude, à la lumière, à l’échelle. Je deviens une étrangère.
Je provoque des situations de rencontres inhabituelles, lentes, de porosités réciproques, qui se prolongent dans une statue, puis dans leurs assemblages.
Des situations pour la mémoire.
Ma tentative, mon souhait du moins, est finalement de rendre compte de quelque chose qui s’est vécu,
partagé, avec les êtres qui se donnent à voir et acceptent de prêter leur figure et leurs récits pour une œuvre d’art. Et de laisser l’espace et le temps dont nous disposons ensemble, déterminer, même partiellement, l’échelle de représentation de la sculpture.
Entre documentaire et fiction. Cécile Raynal
Dans les ombres d’Alice – 2014
/ CHU-Hôpitaux de Rouen
Avant de devenir habitante éphémère d’un nouveau territoire, je ne sais pas à quoi va ressembler le travail final. C’est bien d’ailleurs la raison qui me pousse vers des territoires étrangers : justement parce que je n’en connais rien. Et de ce fait rien ne m’y semble évident. Quand disparaissent les évidences, que l’idée même d’une familiarité ou d’une quelconque habitude est balayée, alors peuvent surgir un regard et des formes inattendues.
Dans le monde d’Alice, de Lewis Carroll tout parle : animaux, objet, plantes, nourriture, tout s’anime et dérive. Face aux jeunes filles anorexiques, face au vide, à leur simulacre de contrôle, face à leur corps coupant, sec, et si fragile, j’ai proposé très vite une échappée dans la littérature. Une lecture d’Alice et son pays cauchemardesque.
Avec elles, j’ai relu et relié les aventures de ce personnage presque désincarné, qui rapetisse ou grandit démesurément selon les rencontres qu’elle fait avec une nourriture injonctive.
Si l’anorexie vient filtrer l’angoisse chez ces patientes, Alice est venue filtrer la mienne face à elle. La présence animale associée aux portraits se fait consolante ou quelquefois ironique. Cécile Raynal
Dans les ombres d’Alice - 2014
Dans les ombres d’Alice - 2014
Marraines-ogresses
Loup (ve)
Marraines-ogresses
Centre d’Art Contemporain de la Matmut / CHU-Hôpitaux de Rouen
/ Opéra de Rouen Haute-Normandie
Dans cette série débutée en 2007, de portraits féminins, installés seuls ou en duos sur des longues structures horizontales, leurs gestes suspendus, est envisagée l’idée d’une complicité tacite entre des figures mythiques et archétypales de la femme dans nos imaginaires occidentaux : la fée réparatrice ou dévoreuse d’enfants, la sainte, la sorcière, la guerrière…
Artiste ou vampire ? Calligraphe ou cannibale, dansante ou coupante ? Brodeuse ou bouffeuse ? Complice ou rivale ? Marraine ou ogresses?.
Loup (ve)
/ Opéra de Rouen Haute-Normandie
Quelquefois des portraits de bêtes viennent se glisser…
Déjeuner sans l’Herbe
/ Centre d’Art Contemporain de la Matmut
Le Déjeuner sans l’Herbe, ensemble sculptural inspiré de la célèbre peinture d’Edouard Manet, inverse les rôles féminin/masculin. Du Déjeuner, il reste ses protagonistes sculptés, assis. Cet ensemble de sculptures, travaillées à partir de la dramaturgie du tableau, rejoue la scène picturale. Au centre, un homme nu nous regarde. Autour de lui, sont figurées quatre femmes. Ainsi au delà de l’évocation de la scène initiale, la sculpture ouvre d’autres scénarios et propose de nouvelles trajectoires des regards. Une invitation à retraverser les subtilités d’une oeuvre énigmatique qui toujours nous regarde autant que nous la regardons. Un travail d’exploration des corps vêtus et nus, des présences et des reflets. Exposé au Musée d’art et d’histoire d’Evreux, dans le cadre de Normandie Impressionniste durant le printemps et l’été 2013.
Déjeuner sans l’Herbe
Saigneurs, mes cieux, mes yeux – 2011-2014
/ Musée des Beaux-arts de Rouen
L’inquiétude cachée derrière les séductions et l’écho à peine ironique de la statuaire antique ont fondé ce travail. Trois bustes d’hommes sont plantés dans leur masculinité, sur des pièces d’acier. Chacun à une hauteur différente, confrontant le spectateur au regard de l’un, au torse du second, au bassin du dernier. Une dérive trinitaire….
Persona, ae : Acteur, personne
/ Cour d’honneur du Palais de justice de Rouen
L’ensemble de ces sculptures évoque le monde lent et caché de l’enfermement carcéral. Issu d’une résidence de dix huit mois dans la prison de Caen, le projet s’est déroulé de 2006 à 2010, sous le haut parrainage de Monsieur le Ministre Robert Badinter.
De 2008 à 2009, pendant dix-huit mois, l’artiste est entrée régulièrement dans le Centre de détention pour réaliser des bustes d’hommes détenus qui désiraient poser. Du travail réalisé dans l’atelier éphémère du Centre pénitentiaire de Caen est né Persona, ae : acteur, personne ensemble regroupant quatre installations où sont réunis ces bustes et ces portraits, ainsi que L’Indienne, une sculpture réalisée dans l’atelier avec la complicité d’Hélène Castel, modèle de cette présence féminine, auteure de Retour d’exil d’une femme recherchée (éditions du Seuil).
Crédits photos : Aude Tincelin, Eric Enjalbert, Patrick Galais, Mickael Ohana, Cécile Raynal.
Cécile Raynal, vit et travaille en Normandie.
Plasticienne et danseuse, elle consacre depuis 2008 ses activités exclusivement à la sculpture, axant sa pratique dans le portrait de personnes, de bêtes ou d’objets, scrutant les visages comme géographies et lieux de mémoires. La sculpture est chez elle un outil pour explorer le monde, entre documentaire et fiction. Ainsi déplace-t-elle souvent son atelier dans des lieux clos, oubliés ou à la marge, qu’elle parcourt et resitue dans ses installations.
Le site de Cécile Raynal : cecileraynal.net
Exposition jusqu’au 18 octobre au :
Musée des Beaux-Arts (tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h),
Cour d’honneur du Palais de Justice (du lundi au vendredi, de 8h à 17),
Chapelle du Pôle régional des savoirs (du mardi au samedi, de 10h à 13h et de 14h à 18h),
Cour d’honneur du CHU-Hôpitaux de Rouen (du lundi au vendredi, de 9h à 17h30),
Haropa-Port de Rouen (du lundi au vendredi, de 8h30 à 17h),
Opéra de Rouen (les soirs de spectacle et le dimanche 21 septembre à l’occasion des Journées européennes du patrimoine)