La redécouverte de Judith et Holopherne, un chef d’œuvre depuis longtemps disparu de Caravage, représente un apport décisif à la reconstruction de l’œuvre d’un des plus grands peintres de l’histoire de l’art mondial.
Qui n’a jamais rêvé de trouver un tableau de Caravage dans son grenier ? Considérée par certains experts comme l’original de Caravage et, par d’autres comme une nouvelle copie, l’artiste surdoué mort à 38 ans, Micheleangelo Meresi, dit le Caravage, a révolutionné la peinture au point de donner son nom à un courant, le caravagisme. Pendant plusieurs mois, les experts se sont passionnés pour un tableau découvert en 2014, dans son grenier, par un propriétaire de Toulouse. Après 5 ans d’études du tableau par de nombreux experts, la toile, Judith et Holopherne, authentifiée par Eric Turquin (et estimée 100/150 millions d’euros) sera vendue aux enchères à Toulouse le 27 juin par Marc Labarbe le commissaire-priseur qui l’a découverte.
Après Londres et avant New York, le tableau est exposé au public pour la première fois en France en regard de l’œuvre Pyramidal, haut-relief – A5, travail in situ de Daniel Buren, à la galerie Kamel Mennour jusqu’au samedi 4 mai. Le chef d’œuvre de ce maître incontesté du XVIème siècle, dont on ne connaissait jusque-là que 65 toiles, entame un dialogue inédit avec une œuvre résolument contemporaine de l’artiste français, qui s’est déjà mesuré au patrimoine avec les célèbres Colonnes installées au Palais Royal.
Sous l’immense verrière de la galerie plongée dans l’obscurité, le concepteur lumière Madjid Hakimi (qui a fait les lumières de Daphnis et Chloé à l’Opéra de Paris chorégraphiée par Benjamin Millepied et scénographiée par Daniel Buren) a réalisé un effet d’éclairage proche de celui de l’atelier de Caravage, dont on sait qu’il a développé la pratique du clair-obscur en perçant le toit de son atelier.
Judith et Holopherne n’ont probablement jamais existé, comme un certain nombre de personnages de la Bible. Rédigé autour du IIe siècle av. J.-C., le livre de Judith dans la Bible rapporte l’histoire d’une jeune veuve qui libéra sa ville de Béthulie en Israël, assiégée par les Assyriens, en séduisant puis décapitant leur général Holopherne, endormi ivre après un banquet. Judith symbolise alors la fidélité, la chasteté et la continence triomphant de l’orgueil et de la luxure.*
Avant sa mise aux enchères le 27 juin prochain sous le marteau du commissaire-priseur Marc Labarbe, le chef-d’œuvre classique de ce maître incontesté du Baroque italien – génie tumultueux né à Milan en 1571 et mort à Porto Ercole en 1610, entame un dialogue hypnotique et totalement inédit avec l’œuvre résolument contemporaine de l’artiste français (né en 1938 à Boulogne-Billancourt). Un face-à-face saisissant, éclairé de façon magistrale par le concepteur lumière Madjid Hakimi.
CARAVAGE, Judith et Holopherne – DANIEL BUREN, Pyramidal, Haut-Relief – A5, Travail in situ
Kamel Mennour :
C’est une des forces de la galerie que de créer ces rencontres entre des grands monstres de l’histoire de l’art… Kazimir Malevitch et François Morellet sur le thème du carré… Daniel Buren et Alberto Giacometti 1964-1966, un moment où les deux artistes étaient à la fois contemporains et aux antipodes en termes de création. Ici, le fossé est immense. Plus de 400 ans séparent les deux œuvres.
Éric Turquin : 410 ans, oui, mais d’une certaine manière, la distance temporelle est abolie par la mise en situation ; avec Daniel Buren, toute exposition est une œuvre en soi ; et puis, les deux artistes partagent cette même volonté d’affrontement avec la peinture de leur époque. Caravage a démoli le maniérisme qui étouffait Rome ; Poussin disait de lui qu’il était venu au monde pour détruire la peinture ! Pour Roger Fry, en 1905, Caravage est le premier artiste moderne, le premier à procéder non pas par évolution mais par révolution. Et Daniel Buren voulait, lui, abolir l’École de Paris qui saturait la place parisienne, il se voulait en rupture complète vis-à-vis de l’histoire de l’art.
Kamel Mennour : Il s’agit surtout d’œuvres que tout oppose, c’est ça qui fait que le dispositif opère. Caravage raconte une histoire, il la théâtralise avec un rideau rouge et une composition serrée de trois personnages qui nouent l’action au cœur du tableau. Le haut-relief de Daniel ne raconte rien en soi, il est sec et strictement non pictural ; même si ses couleurs, le noir et le blanc sont très Caravage.
Éric Turquin : Caravage, c’est cela et c’est la lumière aussi. Cette lumière verticale, puissante, dont la source est cachée, dramatisant son clair-obscur surtout dans les dernières années, les plus originales, auxquelles appartient notre œuvre. Aujourd’hui, Madjid Hakimi a réalisé un travail magnifique d’éclairage en retrouvant cet esprit du Caravage et en respectant l’œuvre qui n’est pas évidente à éclairer.
Kamel Mennour : Daniel a retrouvé avec plaisir Madjid sur ce projet ; en 2014, Madjid avait fait les lumières de Daphnis et Chloé chorégraphié par Benjamin Millepied à l’Opéra de Paris, et scénographié par Daniel Buren. Avec ce puissant éclairage proche de la lumière naturelle plongeant dans une pièce obscure, Madjid recrée un peu l’atelier du Caravage, non ?
Éric Turquin : Oui ; les historiens ont retrouvé des documents d’un litige entre Caravage et sa logeuse car, pour obtenir cet effet d’éclairage, il avait percé le toit de son atelier ! En revanche, on ne sait pas s’il a vraiment utilisé la technique de la « camera oscura » et la projection sur sa toile des figures qu’il peignait par un système de lentilles et de miroirs ; c’est la thèse de David Hockney par exemple, c’est peut-être vrai mais c’est plus une vision d’artiste que d’historien.
Kamel Mennour : Et puis, qu’une œuvre située de Daniel Buren recrée un atelier, ce serait le comble venant de lui qui crée in situ, au dehors de l’atelier absolument !
Éric Turquin : Du point de vue de l’histoire de l’art, ce qui est extraordinaire aussi, c’est qu’aujourd’hui Daniel Buren retrouve une Judith et Holopherne. Il nous a rappelé qu’il avait exposé à la galerie Yvon Lambert en 1979 – il y a donc quarante ans – avec le thème, « qui a vu Judith et Holopherne ? » ; un tableau d’Artemisia Gentileschi qu’il avait réussi à voir dans le corridor Vasari des Offices à Florence, fermé au public. Mais à ce moment-là, il avait travaillé autour d’un manque, le tableau n’était pas présent et même inaccessible. Dans notre cas, c’est l’inverse, le tableau est présent, extrêmement présent même !
Kamel Mennour : L’ultra-présence du tableau est due à sa violence, aux solutions plastiques trouvées par l’artiste… à la forte charge sexuelle contenue dans le tableau aussi, non ? Éric Turquin : Caravage est un immense artiste, c’est pour cela qu’il suscite tant d’intérêt, d’interprétations, d’analyses ; notre temps se retrouve en lui… Kamel, permettez-moi de vous remercier encore pour cette invitation à le voir.
Toutes les informations sur le tableau de Caravage, ses expositions à Londres, Paris, New York, sa vente à Toulouse, les avis des experts, sont sur le site :
www.thetoulousecaravaggio.com
La Découverte
Maître Marc Labarbe commissaire-priseur à Toulouse, connu pour avoir découvert en 2011 un rouleau impérial chinois qu’il a adjugé 22 millions d’euros, soit l’enchère la plus importante au monde pour une peinture impériale chinoise, est appelé en 2014 par un de ses clients toulousains. Ce dernier, en vidant un grenier, vient de découvrir un tableau inconnu de la famille. Marc Labarbe le détecte comme une œuvre importante du XVIIe siècle italien.
Il en confie l’expertise à Eric Turquin, expert renommé en tableaux anciens, qui avec son équipe, va analyser le tableau pendant deux ans dans le plus grand secret. Tous les experts reconnaissent une œuvre majeure.
Les études se poursuivent tandis que le ministère de la Culture français le classe Trésor National. Un statut qui bloque la sortie du territoire de l’œuvre pendant trente mois. Le délai expiré, le tableau est libre de circulation depuis décembre 2018 et a pu être restauré. Il sera proposé aux enchères le 27 juin 2019 à Toulouse.
La famille qui le possède est installée dans la région de Toulouse depuis des décennies et descend d’un officier napoléonien qui a fait la campagne d’Espagne de 1808 à 1814. Les héritiers ont déjà vendu un autre tableau phare de l’époque du Siècle d’or espagnol il y a quarante ans. Quelques années avant la découverte, des cambrioleurs peu inspirés avaient dépouillé le même grenier d’un tas de menus objets mais le tableau, dormant sous une soupente, leur avait échappé.
L’état de conservation, exceptionnel pour une peinture de quatre siècles tend à prouver que le tableau est passé entre peu de mains depuis son rentoilage autour de 1800.
CARAVAGE, Judith et Holopherne – DANIEL BUREN, Pyramidal, Haut-Relief – A5, Travail in situ
Exposition jusqu’au 4 mai 209
Kamel Mennour
6, rue du Pont de Lodi
75006 Paris
A voir aussi sur artsixMic :
Abeilles, une histoire naturelle raconte la beauté et l’immense variété de l’univers des abeilles
Marilyn Monroe by Sam Shaw, Milton H. Greene et Bert Stern
Le Monde de Jules Verne s’installe à la Saline royale
31 artistes réunis pour l’exposition Festin au profit de l’association La Source
ANIMA EX-MUSICA : Bestiaire Optique
Janine Niépce : Une photographie française