Le Bijou Contemporain par Benjamin Lignel
Les humains portent des ornements depuis quelques millénaires et ont trouvé là l’occasion ou le moyen de chasser des animaux, de financer quelques campagnes militaires, de séduire ou d’humilier leurs semblables. Le bijou contemporain, quant à lui, est un phénomène relativement récent (il émerge en Europe et aux U.S. durant les années 60) défini en parti par ce paradoxe: c’est une discipline nouvelle a laquelle on prête un très vieil héritage.
Ses premiers adeptes sont designer, sculpteur ou orfèvre: l’emploi presque canonique de métaux précieux et de formes traditionnelles autant que le conservatisme du bijou d’après guerre les agacent.
Bien que leurs ambitions soient le fruit d’une tradition à chaque fois locale et de parcours singuliers, ces pionniers d’horizon divers ont en commun la volonté dissidente de contester les codes formels et sémantiques du bijou: son aspect, les matériaux qu’il met en oeuvre et le fait que sa valeur s’estime au poids plutôt qu’à l’aune de leur créativité.
Le bijou contemporain se détachera progressivement de ses racines iconoclastes. Ses pratiques se diversifient mais posent très tôt les thèmes de recherche qui le définissent encore aujourd’hui: l’histoire de l’ornement (et son pendant sociologique, l’ornementation), le corps (comme support et comme produit), et finalement la pratique elle-même, que ses acteurs déconstruisent en se l’appropriant. Il est beaucoup question des origines mixtes de cette discipline (elle se réclame de l’artisanat, de l’art et du design) et du statut ambivalent de ce qu’elle produit: une classe d’objets non-utilitaires mais associés au corps, menant une vie interlope entre le social et l’intime. La question n’est pas tellement de savoir si c’est ‘aussi de l’art’, ou ‘encore du bijou’, mais de profiter de ce que cette pratique produit de bâtard et de singulier.
How do you like me now? prolonge mes recherches sur la manière dont notre perception du corps a changé, tandis que de nouvelles pratiques médicales et ornementales (ou encore: techniques et esthétiques) influencent et parfois contredisent notre définition de ce corps, et la manière dont nous interagissons avec lui.
Je suis curieux en particulier du résultat paradoxal de certaines modifications corporelles : bien que la chirurgie esthétique (et ses alternatives injectables, gonflables ou comestibles) présuppose un type corporel idéal qu’elle prend en modèle, elle fonde en réalité un genre esthétique nouveau. Cet effet n’est jamais aussi fort que quand la chirurgie réussit à rater « l’effet naturel » (un oxymore, diraient certains) et nous livre un effet sur-naturel : des formes à la fois excessives et idiosyncratiques, communes et étranges.
De même, les ‘suppléments’ corporels présentés ici se préoccupent moins de beauté que d’embellissement sous toutes ses formes, idiotes, velléitaires et héroïques : ils ont pour but de vous fournir à vous, le porteur augmenté, le moyen de briller en société et de réveiller votre aigle royal intérieur (piles vendues séparément). La transformation à laquelle le titre de l’exposition fait référence désigne aussi les diverses stratégies de médiation utilisées par des praticiens contemporains – tel que moi – pour désengager le bijou d’un système de valeur traditionnellement indexé sur son caratage, la virtuosité de sa facture ou – pire encore – sa beauté. Comme les modifications corporelles citées plus haut, ces médiations – protocoles artistiques aisément reconnaissables et censés donner au ‘vieux métier’ de bijoutier un coup de jeune – menacent aussi de le rendre méconnaissable. Ceci, et les dommages fait à ma réputation d’honnête bijoutier qui en découlent, est le sujet de cette exposition.
Guest: Kiko Gianocca
Les séries récentes de Kiko Gianocca – “With the other eyes”, “to Hold”, et “Who am I” – se proposent de susciter notre attachement avec des objets – faits d’images anonymes, d’outillage d’occasions, de visages abrégés – n’offrant qu’une minuscule ‘prise’ émotionnelle. Paradoxalement, que le lien entre ces objets et moi soit si ténu joue en leur faveur: ils sont suspendus hors du temps et en quelque sorte ‘libres de droit’, mais clairement destinés à être touchés et adoptés. Ce sont des objets en attente. Cette stratégie est d’autant plus efficace qu’elle est insidieuse : tandis que je m’arrête devant la broche, le pendentif ou l’anneau, quelques secondes avant de m’en saisir enfin, mon corps sait déjà ce que mon esprit refuse de reconnaître : je viens de mettre la main – et mon nom – sur ces histoires inachevées. Le travail de Gianocca illustre l’élasticité de ce qui sert à se documenter soi-même. La représentation (de soi) échappe au régime de la preuve: elle est le fait d’une décision, mais certainement pas d’un test ADN. Ce qui nous renvoie au télégramme iconoclaste de Robert Rauschenberg, envoyé en 1961 à sa galeriste, dans lequel il écrivait : « Ceci est un portrait d’Iris Clert si je le dit. » Benjamin Lignel
- Exposition du 01 février au 20 avril 2013
- Vernissage jeudi 31 janvier 2013, de 18h à 21h
NextLevel Galerie
- 8, rue Charlot
- 75003 Paris
- www.nextlevelgalerie.com