Adieu la Suisse ! Construction et déconstruction d’un mythe photographique

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    « Le spectateur attentif qui voyage aujourd’hui en Suisse ne peut ignorer les signes de changement. Le paysage qui s’offre à lui n’a que peu de choses à voir avec l’image idyllique de la Suisse que nous en gardons dans notre imaginaire. Un magma uniforme de zones urbaines menace de recouvrir le pays, le paysage alpin se mue en un parc de loisirs et, à travers l’alignement d’agglomérations dans un espace réduit, on découvre les signes variés, témoins d’une réalité qui semble fractionnée, déconcertante et contradictoire : des mondes se heurtent brusquement, reflétant toute la tension et la dynamique de notre présent.

    Rendre ce présent transparent et le comprendre, tel est l’objectif d’un groupe de photographes qui l’expriment chacun dans un style différent et unique.

    L’exposition « Adieu la Suisse !» propose six points de vue marquants issus du riche éventail de la photographie documentaire récente qui s’est développée en Suisse depuis les années 1990. Leurs qualités sont d’autant plus évidentes lorsqu’on les confronte avec une sélection de photographies classiques plus anciennes. Dès la fin du 19ème siècle, ce petit pays du centre de l’Europe s’est forgé une image qui mettait les montagnes en point de mire, exaltant ainsi ces paysages spectaculaires. Des décors idylliques de lacs et de fleuves, des mondes sauvages faits de neige et de glace, ou encore l’harmonie bucolique entre l’homme et la nature dominaient l’iconographie suisse. Au sein de cette mythologie, le monde urbain ne tenait qu’une place réduite et les traces inopportunes de civilisation étaient méticuleusement gommées. Dès le début, la photographie a joué un rôle important dans la construction de cet « autoportrait ». Durant des décennies – et encore largement au cours du 20ème siècle – la plupart des photographes se consacraient aux milieux ruraux traditionnels, s’efforçant de toujours ajouter de nouvelles facettes à la splendeur des paysages. Le tourisme avait une profonde influence sur la perception de la Suisse à travers la photographie : la nostalgie d’un pays intact et vierge attirait vers les régions alpines les voyageurs de toute l’Europe, mais induisait également une reproduction (photographique) quasi industrielle de ces rêves sous la forme de cartes postales, albums et éditions à grands tirages, finalement repris à des fins artistiques par de grands photographes. Un des exemples les plus connus en est Albert Steiner dont les travaux ne peuvent en aucun cas être séparés du contexte touristique des années 1920, ce qui n’empêche pas qu’ils eurent également sur un plan stylistique une influence marquante sur la photographie suisse. Dans l’esprit du photoreportage des années 1930 à 1950, une grande partie de l’analyse photographique de la Suisse se résumait à une « défense spirituelle du pays » ; la tendance à une sublimation du tourisme laissait alors de plus en plus souvent la place à un pathos nationaliste. Le besoin de saisir par la photographie la beauté des paysages suisses, ou de la renforcer à travers certains messages, se retrouve toutefois même chez les auteurs qui défendaient une position esthétique indépendante. Gotthard Schuh, Hans Baumgartner, Theo Frey, Hans-Peter Klauser et Jakob Tuggener avaient certes un point de vue très différent sur leur propre pays, mais contribuaient également, chacun à sa manière, à conserver le milieu rural et le paysage vierge et intouché au centre du discours photographique. A partir des années 1960 et 1970, une nouvelle génération de photographes entreprit de remettre en question de façon critique les clichés traditionnels de la Suisse – et ce, pas seulement comme conséquence de véritables changements, mais aussi sur la base de nouveaux concepts esthétiques. Justement, la photographie documentaire se donnait alors comme ambition de scruter la société au-delà de ses aspects superficiels et d’en rendre visibles les contradictions et refoulements. Soudain, le non spectaculaire, le trivial et le déconcertant deviennent photogéniques. La concentration urbaine devient elle aussi un thème à traiter, de même que les côtés les moins esthétiques des installations industrielles. On peut à ces sujets citer en exemple Andreas Wolfensberger, Roland Schneider ou Luc Chessex. Des perspectives radicalement nouvelles s’imposèrent toutefois dans les années 1990. Inspiré des oeuvres américaines du milieu des « New Topographics », le genevois Nicolas Faure allia un concept de contenu puissant à une revendication clairement esthétique. Son livre « Switzerland on the Rocks » (1992) ne constitue pas uniquement une recherche visuelle du visage de la Suisse actuelle, mais pose également la question de la sensibilité spirituelle d’une nation capable de décorer ses jardins et ses lotissements d’une manière quasiment obsessionnelle de « roches erratiques ». Faure fit également partie des premiers qui se séparèrent définitivement de l’esthétisme suisse du noir et blanc, lyrique et mélancolique, introduisant la couleur en tant qu’élément essentiel à utiliser dans le témoignage helvétique. C’est à partir de cette base qu’il faut considérer les points de vue contemporains qui sont au coeur de l’exposition « Adieu la Suisse ! ». On peut tout à fait les comprendre comme étant un prolongement et une poursuite du développement de cette tradition, documentaire par nature, qui a mené la photographie du 20ème siècle, y compris internationale, à une apogée remarquable. Ils ont en commun un regard plus froid, plus sobre, qui se fixe souvent sur ce qui semble être secondaire. Mais ils ont aussi en commun le puissant intérêt porté aux signes et aux indices qui renvoient à des liens invisibles, situés hors de l’image – non pas une mise en accusation affichée ni un « exposé des preuves », mais le questionnement permanent et complexe de la réalité toujours en avant-plan. Nombreux sont les aspects qui, apparaissant évidents au premier abord, deviennent de cette façon des énigmes codées, parfois même surréelles. Documenter avec ouverture d’esprit se révèle être une stratégie artistique féconde et une clé d’une prise en compte nouvelle, critique, mais également joyeuse du pays d’origine – sans jugement moral, sans prosélytisme. Ce n’est donc pas un hasard si des démarches séquentielles jouent un rôle important dans plusieurs oeuvres exposées. Les séries permettent dans certains cas précis de reconnaître la spécificité et, par le biais stylistique de la répétition, de prendre en compte l’ensemble des contextes les plus importants sur les plans sociaux et culturels. D’autres travaux jouent plutôt sur l’effet de distanciation en se fixant particulièrement sur les failles existant dans la normalité et l’ordre du train-train helvétique. « Adieu la Suisse ! » n’est en aucun cas un regard en arrière nostalgique sur un paradis perdu. Dans la confrontation entre les points de vue contemporains et historiques, il est évident que, dans cette exposition, on ne met pas en avant les modifications objectives de la réalité, mais surtout des évolutions du regard sur cette réalité. La combinaison d’un projet subjectif et d’une saisie objective des faits – à l’instar de jeunes photographes qui la donnent en exemple – se révèle comme une méthode puissante et inspiratrice pour l’interprétation de notre présent.» Dr. Peter PFRUNDER Commissaire de l’exposition Directeur de la Fondation Suisse pour la photographie, Winterthur

    • Exposition du 16 novembre 2012 au 10 février 2013

    Photographes & OEuvresNicolas Faure :

    Travaux divers, env. 1995-2012
    15 Lambda-Prints sur alu, 125 x 161 cm

    Christian Schwager : Falsche Chalets, 2001-2003
    20 C-Prints sur plastique, 31 x 40,5 cm

    Jules Spinatsch : Snow Management / Inventar W, 2004-2008
    4 C-Prints sur alu, 80 x 100 cm, 26 C-Prints sur Alu, 26 x 34 cm

    Yann Gross : Horizonville, 2005-2007
    14 C-Prints, 50 x 60 cm

    Jean-Luc Cramatte : Poste mon amour, 2001-2008
    20 Impressions jet d’encre, 41,5 x 41,5 cm

    Martin Stollenwerk : SBB-Bauten, 2005-2006
    20 Impressions jet d’encre, 55 x 68,5 cm

    Les 6 sélections de photographies contemporaines (119 oeuvres) sont complétées par une installation vidéo : Erich Busslinger : Inland-Archiv, 2003

    OEuvres historiques (53) :
    Hans Baumgartner, Theo Frey, Hans Peter Klauser, Gotthard Schuh, Albert Steiner, Jakob Tuggener, Photoglob/Photochrom

    Les oeuvres présentées lors de l’exposition – à l’exception de l’installation vidéographique – proviennent à la fois de la collection de la Fondation Suisse pour la photographie, Winterthur, et du fonds Jakob Tuggener déposé à la Fondation suisse pour la Photographie.

    Pavillon Populaire

    • Espace d’art photographique de la Ville de Montpellier
    • Esplanade Charles-De-Gaulle – 34000 Montpellier