Abdul Rahman Katanani : “Quand je sors mes œuvres de mon atelier, mes voisins se pressent pour les regarder. C’est mon premier public. Ensuite, j’envoie ces pièces dans les expositions en Europe. Ces œuvres voyagent alors que les gens du camp sont bloqués. “
Comment devenir un artiste quand on est originaire du camp de Sabra ? Le parcours d’Abdul Rahman Katanani est exemplaire. Son matériau de prédilection est le fil barbelé . Il découpe au chalumeau des figures en tôle ondulée et récupère des objets usagés. Abdul Rahman Katanani (re)déploie avec panache, dans l’espace, les matériaux symboliques du camp, réalisant des œuvres sensibles et cruelles à la fois, mais toujours emplies d’allégresse.
“L’occupation commence en nous. Si on ne cherche pas à s’émanciper, on restera enfermé toute notre vie. Quand je sors mes œuvres de mon atelier, mes voisins se pressent pour les regarder. C’est mon premier public. Ensuite, j’envoie ces pièces dans les expositions en Europe. Ces œuvres voyagent alors que les gens du camp sont bloqués. » Abdul Rahman Katanani
La galerie Danysz présente Hard Core, première exposition monographique d’Abdul Rhaman Katanani en France – artiste protéiforme dont le travail traduit un fort engagement social et citoyen. Utilisant l’art comme moyen de résistance, il porte un regard sensible sur les problèmes du monde. Abdul Rahman Katanani mène un travail de mémoire, avec l’intime conviction qu’en découle une forme de tolérance et d’acceptation de l’autre. Abdul Rahman Katanani accorde aussi bien une place au fond qu’à la forme et à l’esthétique de ses œuvres. Il dompte toute sorte de matériaux accumulés au fil du temps : fils de fer barbelé, tôles ondulées, pneus, tissu ou encore bidons d’essence. Paradoxalement, ces matériaux qui font partie de son quotidien sont froids. À l’état brut, très rarement peints, il en fait ressortir par des reflets un subtil jeu d’ombre et de lumière. De son processus créatif émerge une dualité entre la réalité des éléments chaotiques retravaillés et la beauté de la composition finale. Il dit ainsi du fil barbelé omniprésent dans son travail (et qui forme notamment les branches de ses célèbres oliviers) : « Il me fait mal quand je travaille avec lui, mais le travailler me procure le plus grand plaisir. »
Au rez-de-chaussée de la galerie, l’installation centrale de l’exposition est une réalisation à l’échelle 1 d’une rue de camp de réfugiés. La pièce rendue interactive est réalisée entièrement avec du matériel de recyclage, dans laquelle le spectateur peut pénétrer et errer. Il se voit alors reflété des dizaines de fois par les miroirs qui bordent le passage, donnant l’impression d’être démultiplié et à l’étroit dans la structure. Une vidéo de surveillance le filme et retranscrit au sous-sol de la galerie, en noir et blanc et au ralenti, sa « co-errance » dans l’œuvre. En noir et blanc : il n’y a pas de couleurs dans le camp. Au ralenti : l’image, fantomatique et étirée, évolue jusqu’à se perdre dans une forêt, quelque part au fond de l’espace. Suite à ce parcours, c’est au troisième niveau de la galerie que le visiteur peut ensuite découvrir les œuvres poétiques faites de barbelées de l’artiste.
C’est adolescent qu’Abdul Rahman Katanani a développé son sens artistique par la caricature, critique et engagée, qui continue d’influencer son travail, comme lorsqu’il dessine « the best border is no border » sur les murs de la galerie Analix Forever à Genève. Ses inspirations sont également à chercher du côté de Vermeer, dans son souhait de figer des scènes du quotidien, d’Yves Klein dont le bleu, reconnaissable et tranché tel le fil barbelé Abdul Rahman Katanani, imbibait l’ensemble de son travail, ou encore de Robert Rauschenberg, accumulant formes et symboles historiques dans ses collages et peintures. Aujourd’hui priment chez Abdul Rahman Katanani un désir d’affranchissement et une recherche de liberté qu’il prône par l’éducation, la culture et l’art. Il y trouve des moyens de résistance et de résilience. « Le concept de liberté est d’après moi constamment en mouvement ». Mouvement que l’on retrouve dans ses œuvres par le cercle, le tourbillon ou encore la vague. Il ne cesse de réinterpréter, avec sa force narrative, le monde tel qu’il le perçoit pour en extraire des questions universelles : origines, inégalités, contraintes, liberté ou enfermement.
La Galerie Danysz organise pour la première fois en France une exposition de l’artiste – composée de pièces inédites – lui qui a découvert Paris lors d’un passage à la Cité internationale des Arts en 2014. Hard Core est réalisée en collaboration avec la galerie Analix Forever de Genève – dans la continuité d’un travail initié de longue date avec Barbara Polla – et avec le soutien du centre d’art Vent des Forêts (Fresnes-au-Mont, Lorraine). Samedi 2 décembre, jour du vernissage de l’exposition, sera présenté par ses auteurs Hard Core, ouvrage édité par la Galerie Analix Forever avec des textes de Christophe Donner, Nicolas Etchenagucia, Barbara Polla, Pascal Yonet et Paul Ardenne.
Abdul Rahman Katanani est né en 1983 dans le camp de Sabra (Beyrouth, Liban). Vit et travaille à Beyrouth et Paris.
Le facebook de l’artiste : Cliquez-ici
Photo : Abdul Rahman Katanani : Lanceur de pierre, tôle ondulée et fil barbelé
Abdul Rahman Katanani : Hard Core
Exposition du 2 décembre 2017 au 13 janvier 2018
Galerie Danysz
78 rue Amelot
75011 Paris
http://magdagallery.com/fr/expositions/presentation/80/hard-core
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