De 1977 à 1983, Michael Somoroff, jeune photographe new-yorkais d’une vingtaine d’années, plein de passion et d’enthousiasme, a eu le privilège de photographier quelques uns des plus grands photographes du 20e siècle, parmi lesquels Brassaï, Elliot Erwitt, Andreas Feininger, Ralph Gibson, André Kertész, Duane Michals, Arnold Newman, Helmut Newton ou Jacques Henri Lartique. Il fut d’abord présenté à ces figures de la photographie par son père Ben Somoroff, ancien étudiant d’Alexey Brodovitch, et célèbre photographe publicitaire. Les séances de portraits accordées à Michael étaient profondément personnelles, et il n’était pas dans son intention de rendre ces images publiques.Les tirages et les négatifs sont restés dans des boites pendant des décennies jusqu’à ce que récemment, plusieurs confrères les voient et les jugent importantes, et finissent par convaincre Michael Somoroff de les diffuser. Près de 35 ans après la première séance photo, ce corpus historique est publié dans A Moment: Master Photographers, Portraits by Michael Somoroff (Damiani, Septembre 2012) avec un texte de William A. Ewing qui avait fait la connaissance de Michael à l’époque où celui-ci commençait à exécuter ces portraits et avait travaillé avec lui à sa première exposition à l’International Center of Photography. Le livre comprend également des souvenirs personnels de Michael. En 2011, Michael a réalisé le portrait de Lillian Bassman et celui de Mary Ellen Mark. Ces images sont inclues dans le livre. (voir plus bas la liste complète des artistes photographiés)
Master Photographers représente un « moment » spécial dans l’histoire de la photographie, et les artistes qui jouèrent un rôle déterminant dans l’évolution du medium. Ces portraits reflètent l’apogée de la photo argentique. Les photos ont été faites à différents endroits, notamment dans le studio de Michael Somoroff à New York où il prend ses sujets baignant dans une lumière naturelle. Ces images sont faites dans un esprit de camaraderie, d’expérimentation et de collaboration entre élève et maitre ; elles sont remarquables par leur impact émotionnel, leur composition et leur créativité.
L’histoire de Somoroff
Dans son essai, Somoroff raconte avoir grandi dans le studio de son père, qui était alors le rendez-vous de tous les directeurs artistiques, designers, écrivains et artistes les plus importants de l’époque. La mère de Somoroff, Alice Bruno, était une célèbre mannequin de l’agence Eileen Ford. Ses parents se sont rencontrés dans le cadre d’une commande pour Mademoiselle. Michael Somoroff ayant eu la chance d’avoir été suivi dans ses débuts par de nombreux amis de ses parents (Henry Wolf était son parrain et Milton Glaser lui avait passé sa première commande pour un magazine), il est déjà devenu un jeune photographe prolifique lorsque Richard Avedon l’aide à obtenir sa première exposition à l’International Center of Photography (ICP) en 1979 en demandant à Cornell Capa de regarder son portfolio. Michael est à cette époque régulièrement en contact avec d’anciens élèves de Brodovitch comme Arnold Newman, Art Kane, Louis Faurer ou Ben Rose. Il écrit que c’est Irving Penn, un autre confrère de son père, qui influence sa décision de se consacrer au portrait lorsqu’il découvre sa série Small trades publiée dans Words in a small room en 1974. La plus grande influence sur la carrière de Michael Somoroff est néanmoins celle de son père qu’il a assisté pendant des années tout en travaillant pour plusieurs des amis de ce dernier.Ben Somoroff a étudié la photographie au Pennsylvania Museum of Industrial Art (devenu aujourd’hui University of the Arts) auprès d’Alexey Brodovitch, le légendaire directeur artistique d’Harper’s Bazaar de 1938 à 1958. Ses illustres camarades d’études se nomment Irving Penn, Louis Faurer, Ben Rose, Arnold Newman, Sol Mednick, et Isadore Possoff, comme le raconte l’historienne américaine Anne Wilkes Tucker dans sa monographie Louis Faurer. Ce groupe devient connu sous le nom d’« Ecole de Philadelphie ». Leurs portraits, natures mortes et photographies de mode prédominent dans les principaux magazines de cet âge d’or de la presse, parmi lesquels Vogue, Harper’s Bazaar, Look, Esquire, et Mademoiselle. L’apprentissage rigoureux et la philosophie de Brodovitch transparaissent dans chacunes de leurs photos.
Un moment décisif dans l’Histoire de la Photographie
Dans son essai, le commissaire d’exposition et historien de la photo William A. Ewing replace le travail de Michael Somoroff dans le contexte d’une période productive et faste pour la photographie qui commence à recevoir la reconnaissance qu’elle mérite en tant qu’art. Des institutions sont fondées, des galeries apparaissent, un marché se crée, le public se forme et les photographes sont stimulés par ce formidable enthousiasme. Ewing aborde également le débat qui fait rage à l’époque entre les sphères de l’art et du commerce. Son texte donne un aperçu vivant du monde de la photographie dans les années 1970 et le début des années 1980, un monde dans lequel le jeune Michael Somoroff trouve sa voie.
Liste des portraits:
1. Frances McLaughlin-Gill, New York City, 1978
2. Cornell Capa, New York City, 1978
3. Art Kane, New York City, 1979
4. Bert Stern, New York City, 1979
5. Ben Somoroff, New York City, 1977
6. Sid Kaplan, New York City, 1979
7. Herman Landshoff, New York City, 1979
8. Arnold Newman, New York City, 1979
9. Horst P. Horst, Oyster Bay, New York, 1980
10. Elliott Erwitt, East Hampton, New York, 1980
11. Ernst Haas, New York City, 1980
12. Ralph Gibson, New York City, 1980
13. Andreas Feininger, New York City, 1980
14. Alfred Eisenstaedt, New York City, 1980
15. Duane Michals, New York City, 1980
16. André Kertész, Paris, 1982
17. Jeanloup Sieff, Paris, 1983
18. Jacques Henri Lartigue, Paris, 1983
19. Brassaï, Paris, 1983
20. Robert Doisneau, Paris, 1983
21. Helmut Newton, Monaco, 1983
22. Fritz Kempe, Hamburg, 1983
23. F. C. Gundlach, Hamburg, 2011
24. Lillian Bassman, New York City, 2011
25. Mary Ellen Mark, New York City, 2011
Michael Somoroff étudie à la Parsons The New School for Social Research à New York. Il va ensuite à Hamburg où il rencontre F.C. Gundlach et d’autres grands photographes, parmi lesquels Brassaï, Jeanloup Sieff, et Robert Doisneau. C’est en Europe que sa carrière en tant que photographe est réellement lancée. Somoroff travaille pour la plupart des magazines importants du continent. Il finit par revenir d’Europe pour s’installer aux Etats-Unis et continue de photographier en même temps qu’il développe de nouvelles pratiques. Son travail de réalisateur et cameraman est internationalement reconnu et il est associé d’une des sociétés de production des plus prospères, MacGuffin Films Ltd. Sa série intitulée Absence of subject, dans laquelle il revisite des images d’August Sander et rend hommage à ses Hommes du 20e siècle, est publiée en 2010 dans une monographie et fait l’objet d’une exposition sur la Piazza San Marco durant la Biennale de Venise 2011. En 2006, il est invité par la Chapelle Rothko à Houston, Texas, à monter sur le site une installation sculpturale Illumination I. C’est la première fois qu’une telle invitation est faite par la Chapelle et c’est le seul ajout depuis le Broken Obelisk de Barnett Newman installé 30 ans auparavant. Un livre sur le making-of de ce projet est publié la même année et comprend un texte de l’historien d’art David Anfam. Le travail de Michael Somoroff figure entre autres dans les collections du MoMA, New York, du Museum of Fine Arts, Houston et la Smithsonian Institution, Washington DC. Il est représenté par la galerie Feroz qui appartient à Julian Sander, l’arrière petit-fils d’August Sander et la galerie Thomas Schulte à Berlin.
William A. Ewing est auteur et curateur indépendant spécialisé en photographie. Il a été directeur des expositions de l’ICP de New York de 1977 à 1984 et directeur du Musée de l’Élysée à Lausanne, Suisse, de 1996 à 2010. Ses expositions ont été montrées dans de prestigieuses institutions aux Etats-Unis et en Europe (MoMA, New York ; le Centre Pompidou, Paris ; la Hayward Gallery et la Serpentine Gallery, Londres; le Kunsthaus, Zürich; et le Musée national des Beaux-Arts du Québec). Parmi ses publications figurent : The Body: Photoworks of the Human Form (1994); reGeneration: 50 Photographes de demain (2005); reGeneration2: Photographes de demain (2010); Face: The New Photographic Portrait (2008); et Ernst Haas: Color Correction (2010). Il a également co-écrit deux ouvrages sur Edward Steichen : Edward Steichen: Lives in Photography, et Edward Steichen: In High Fashion, the Condé Nast Years 1923-1937 (2008)Il enseigne depuis plusieurs années l’Histoire et l’analyse de la Photographie à l’université de Genève. Il est aujourd’hui directeur des projets curatoriaux pour les éditions Thames & Hudson.