À corps et âme s’intéresse à l’histoire de la médecine au 16e siècle, et plus particulièrement à l’essor de l’anatomie et à ses effets sur la perception du corps et de l’âme.
À la Renaissance, le tabou de l’ouverture du corps humain se lève progressivement et les dissections se multiplient en Europe dans les théâtres d’anatomie. Médecins et artistes travaillent ensemble afin de cartographier ce continent encore inexploré dans son intégralité. Ils diffusent ces nouvelles connaissances grâce à l’imprimerie naissante. Présentée dans les salles du Château de Kerjean, l’exposition « À corps et âme » s’intéresse à l’histoire de la médecine au 16e siècle, et plus particulièrement à l’essor de l’anatomie et à ses effets sur la perception du corps et de l’âme. Objets historiques et oeuvres d’art contemporain dialoguent et tissent des liens entre la Renaissance et notre société actuelle. Dans le parcours de l’exposition sont présentés des objets et des oeuvres historiques témoignant d’un monde médical en ébullition ; des oeuvres d’artistes contemporains et des films d’animation leur font écho, et donnent à réfléchir sur l’évolution de la médecine et la prise en compte du corps et de l’esprit dans notre société actuelle.
Corps et âme
Depuis l’Antiquité, comme en témoignent les oeuvres de Platon et d’Aristote, la relation entre le corps et l’âme est au coeur des débats philosophiques. Au cours du Moyen Âge, les théologiens chrétiens orientent la réflexion sur l’immortalité de l’âme et la mortalité du corps. À la Renaissance, avec la redécouverte des textes anciens impulsée par le mouvement intellectuel de l’Humanisme, les débats sur les rapports entre l’âme et le corps resurgissent parmi les philosophes et les médecins. Désormais, connaître l’Homme signifie comprendre l’anatomie et appréhender les facultés de l’âme. L’essor de l’anatomie au 16e siècle permet de pénétrer les lieux secrets du corps. Les savants situent alors le siège de l’âme dans la glande pinéale, au centre du cerveau, comme René Des-cartes le soutiendra plus tard au 17e siècle.
Percer les « secrets de femme »
Hippocrate, père de la médecine occidentale, considère que l’utérus est la cause des maladies chez la femme. Comme l’affirme Israël Spach, médecin et éditeur du recueil de gynécologie le plus renommé du 16e siècle, « la continuation et la conservation de l’espèce humaine dépendent de la santé des femmes et de leur capacité à procréer ». À la Renaissance, les médecins approfondissent les études sur l’appareil génital, la fécondité et la stérilité, la grossesse et l’accouchement. Ils corrigent ainsi certaines erreurs héritées des textes anciens, basés sur la dissection de cadavres d’animaux. Cependant, des croyances persistent. Au fil du temps, le nombre croissant de dissections de corps féminins permettra de cor-riger ces erreurs.
La fabrique du corps
Jusqu’au Moyen Âge, on dissèque les corps pour illustrer le propos des anciens, tel Galien qui, au 2e siècle de notre ère, pratiquait des dissections sur des animaux. Dès le 14e siècle, la pratique de l’anatomie se développe au sein des universités, avec l’accord de l’Église qui admet la dissection dans le but scientifique de mieux connaître le corps et ses maladies. Au 16e siècle, le temps de l’étude anatomique basée sur la lecture des textes anciens est révolu. Dans les théâtres d’anatomie des universités, le corps est exposé et montré dans son intégralité. Médecins, chirurgiens et artistes se retrouvent alors pour toucher, sentir, explorer et examiner. Comme le souligne le médecin français Charles Estienne, l’anatomiste devient l’historien du corps, celui qui en relate les faits et en donne le portrait fidèle. Les images du corps disséqué sont alors largement diffusées grâce aux succès de l’imprimerie naissante.
Mieux connaître pour mieux réparer
Barbiers et chirurgiens ont partagé gestes et savoirs pendant des siècles. Pratiquer une saignée, ouvrir une plaie, couper un membre sont des actes qui demandent une grande habileté dans la manipulation des rasoirs et des outils tranchants, de même que tailler une barbe ou couper les cheveux. Au 16e siècle, les découvertes en anatomie permettent aux chirurgiens de développer considérablement leur savoir et leur pratique. Le métier se spécialise grâce aux premières formations universitaires et à la création de corporations. Ambroise Paré, considéré comme le père de la chirurgie moderne, décrit alors la chirurgie comme un art caractérisé par une méthode rigoureuse, au même titre que la médecine : « Chirurgie est un art qui enseigne à méthodiquement curer, préserver et pallier les maladies, les causes et accidents qui adviennent au corps humain, principalement par opération manuelle ».
Le corps astrologique
Le corps de l’homme est semblable à un monde en miniature, le Microcosme. Tel le Macrocosme, il est composé des quatre éléments de l’univers : terre, eau, air, feu. Philosophes, médecins et théologiens chrétiens intègrent cette doctrine dans le récit biblique de la création divine. À cette image, l’homme vit en harmonie avec la nature et est influencé par les astres. L’astronomie (étude physique des astres), liée à l’astrologie (étude de l’influence des astres sur la vie humaine), contribue à la formation médicale. Lors de la consultation, le praticien étudie l’horoscope du patient et choisit le moment opportun pour pratiquer une saignée ou une opération. Des correspondances précises existent entre les corps célestes et le corps humain, comme l’illustrent les représentations d’homme zodiacal et planétaire diffusées dans de nombreux ouvrages.
Soigner le corps et l’âme
Depuis l’Antiquité, être malade signifie souffrir d’un déséquilibre des fluides (les humeurs), qui circulent dans le corps : sang, bile jaune, phlegme et bile noire. L’interaction dans le corps entre les parties solides et les fluides est telle que, pour rétablir la santé du patient, le médecin se doit d’intervenir en prenant en compte sa nature sanguine, colérique, mélancolique ou phlegmatique. La médecine physiologique, qui étudie les fonctions biologiques du corps, s’accompagne de la médecine thérapeutique, représentée par la pharmacie et la chirurgie, et de la médecine préventive, constituée par l’hygiène. Prévenir la maladie signifie respirer un bon air, bien boire et bien manger, vider et remplir le corps, alterner sommeil et éveil, faire de l’exercice physique, ainsi que maîtriser les passions de l’âme, telles que la haine, l’amour, le rire, la peur.
Cultiver son âme
L’éducation humaniste se développe à partir du 15e siècle en Italie avant d’être diffusée dans toute l’Europe. Apprendre n’est plus le but ultime, il s’agit maintenant de façonner l’être humain, son corps et son âme. Inspirée de la pratique des grecs anciens, l’Humanitas, l’identité de l’homme, fait l’objet d’études basées sur l’exercice de la raison et du discours. Selon Erasme, l’identité individuelle s’acquiert par la formation. L’art oratoire et la poésie, l’histoire et la philosophie, la musique et les mathématiques, l’astronomie et la géographie contribuent à libérer l’homme de l’ignorance, à lui donner les moyens d’exprimer sa pensée et de réfléchir par lui-même. Et, afin d’équilibrer harmonieusement le corps avec l’esprit, les humanistes encouragent l’exercice physique, la danse et le jeu, pratiques à la base de la vie en communauté.
L’âme vagabonde
Philosophes et médecins réfléchissent à la manière dont l’âme peut s’échapper du corps. Au 15e siècle, le philosophe platonicien Marsile Ficin, qui avait également reçu une formation médicale, élabore la doctrine de la séparation de l’âme et du corps. L’âme entre en contact avec le divin par la prière ou des états physiques particuliers, comme le sommeil. La mise en veille du corps pendant le sommeil permet à l’imagination de s’activer. Cette faculté de l’âme engendre des visions, des miracles et des effets extraordinaires qui peuvent prendre la forme de prophétie. Le médecin Auger Ferrier (1513-1588) classifie les rêves en trois catégories : naturels, divins et diaboliques. Les mondes divin et diabolique profitent du sommeil pour communiquer avec l’homme, alors que l’état des humeurs influence les songes naturels : par exemple, on peut rêver du feu si on a un tempérament colérique.
Les textes de l’exposition ont été rédigés par Concetta Pennuto, expert scientifique de l’exposition et Maitre de conférences pour le Centre d’études supérieures de la Renaissance (UMR 7323), Université François-Rabelais de Tours / CNRS.
UN PARCOURS ÉMAILLÉ D’OEUVRES CONTEMPORAINES
Afin de permettre au public de mieux comprendre les nombreuses implications de la pensée de la Renaissance sur notre société actuelle, des oeuvres contemporaines ponctuent le parcours historique. L’objectif de ce principe muséographique est de proposer des passerelles entre deux époques, afin d’enrichir les débats actuels sur la perception de notre corps et de notre esprit. Les oeuvres d’art contemporain se présentent ici comme des outils, des révélateurs qui nous amènent à réfléchir à ce que nous sommes aujourd’hui.
Les Artistes présents :
- Renaud Auguste
- Hans Bellmer
- Clémence Estève
- Lionel Estève
- Jennifer Mackay
- Jeanne Sus-plugas
- Sarah Tritz
- Samuel Yal
Le Château de Kerjean
À l’extrême pointe de l’Europe et d’une péninsule étirée entre mer et océan, l’établissement public de coopération culturelle Chemins du patrimoine en Finistère réunit cinq sites patrimoniaux majeurs du département et tisse entre eux les liens d’une nou-velle politique culturelle interrogeant la notion de diversité culturelle : Abbaye de Daoulas, Abbaye du Relec, Manoir de Kernault, Château de Kerjean et Domaine de Trévarez.
Le Château de Kerjean est construit à la fin du 16e siècle. Caractéristique de la seconde Renaissance française par son plan et ses décors, il est entouré d’une enceinte aux dimensions exceptionnelles. Il s’inscrit aujourd’hui dans un domaine de 20 hectares comprenant un colombier, des piliers de justice et une fontaine. La visite du château s’enrichit chaque année d’une exposition temporaire. Celle-ci, en s’emparant de sujets historiques et régionaux, permet de porter un regard nouveau sur la période de cons-truction de Kerjean et sur son territoire.
EPCC Chemins du patrimoine en Finistère – Château de Kerjean
29440 Saint-Vougay
À corps et âme : Exposition jusqu’au 5 novembre 2017