Les civilisations naissent, se propagent puis déclinent inévitablement. L’Égypte ancienne, la Grèce antique, le monde des Celtes ou des Incas ont laissé en disparaissant des ruines splendides, sorte de quintessence destinée aux civilisations suivantes.
Au commencement les hommes vivaient avec les dieux. Il y a environ 500 000 ans, l’apparition de la conscience du temps marque le passage du stade animal au stade humain. Cette conscience du temps est directement liée à la naissance des rituels funéraires. A cette époque, la mort faisait partie intégrante du quotidien, et l’existence des dieux se concentrait sur la frontière séparant la vie de la mort. Dans un contexte de mort omniprésente, c’est plutôt la vie qui représentait une rupture insolite. Les humains passaient le bref moment de vie qui leur était accordé à préparer leur voyage vers une mort éternelle. On édifiait de gigantesques mausolées pour les familles royales, on offrait aux dieux des prières accompagnées de sacrifices.
A l’âge de pierre, période de transition entre l’ignorance et l’éveil, les dieux manifestaient leur présence dans toute la nature : dans le feu, dans l’eau, la pierre, le bois, dans les loups et les renards, la lune et le soleil. Il y a environ 5000 ans, les hommes entrèrent dans l’âge de la civilisation. L’élevage remplaça la chasse, l’agriculture succéda à la cueillette. Les consciences s’éveillèrent, des connaissances furent cultivées et transmises, donnant naissance à la culture. L’Histoire commençait. Désormais plein de confiance en lui-même, l’être humain devint arrogant. Les innombrables divinités et esprits de l’âge de pierre se synthétisèrent sous forme de dieux à l’apparence humaine, notamment les fondateurs des trois grandes religions : bouddhisme, christianisme et islam. En donnant un statut divin aux plus accomplis parmi les hommes, on abandonnait l’ancienne adoration des idoles au profit de l’être humain, sacré idole suprême. Une fois morts, les fondateurs divinisés firent l’objet d’une idolâtrie sophistiquée qui conduisit à des conflits sectaires et des torrents de sang versé au nom de la religion.
Le bouddhisme, quant à lui, fut fondé en Inde par le Bouddha Sakyamuni, il y a environ 2500 ans. Le mot « Bouddha » signifie littéralement « Éveillé ». Le bouddhisme considère que les êtres sont prisonniers d’un cycle de naissances et de morts qui se perpétue éternellement, les maintenant dans ce monde plein de souffrance, et que seul l’Éveil – le satori – permet d’échapper à ce cycle. Après s’être propagé en Inde, le bouddhisme se divisa en différentes branches : tandis que le Petit Véhicule se diffusait vers le sud de l’Asie, le Grand Véhicule se transmettait au nord, via le Tibet, jusqu’à Tchang’an, capitale de la Chine des Tang. S’épanouissant en Chine au moment même où il entamait son déclin dans l’Inde, son berceau d’origine, le bouddhisme parvint ensuite jusqu’au Japon, aux environs du VIème siècle. Intégré au système impérial en tant qu’élément protecteur et pacificateur, il fut promu au rang de religion officielle au VIIème siècle. Par la suite, le bouddhisme Chan se développa dans la Chine des Song, mais les invasions mongoles du XIIIème siècle poussèrent de nombreux maîtres de cette école à se réfugier au Japon, où elle s’enracina durablement sous le nom de Zen.
Pour cette exposition, j’ai réalisé des images vidéo des mille statues de Boddhisattva du Sanjûsangendô, un temple de Kyôto datant du XIIIème siècle. L’accélération progressive de 48 clichés de ces mille Bouddhas permet de les voir se multiplier jusqu’à un million en cinq minutes. Le Sanjûsangendô, édifié par l’empereur retiré Go-shirakawa, représente le Paradis de la Terre Pure. Ce modèle s’accélère sous nos yeux jusqu’à se fondre et disparaître. Parallèlement à l’œuvre vidéo sont exposés des soûtras et des reliques évoquant chaque époque Toutes les civilisations s’accélèrent au fur et à mesure qu’elles approchent du déclin. La nôtre n’échappe pas à la règle. Il est clair aujourd’hui que ni l’accumulation du capital ni la croissance économique ne peuvent durer éternellement. Libre à vous de voir dans ces images de Bouddhas la représentation de la civilisation actuelle qui continue à accélérer tout en se précipitant vers une disparition programmée. L’humanité se rapproche de plus en plus d’un état d’illumination perpétuelle, où le cycle de la naissance et de la mort n’aura plus cours. HIROSHI SUGIMOTO – Traduction : Corinne Atlan
Hiroshi Sugimoto a entrepris depuis 2003 une forme d’exposition évolutive intitulée « Histoire de l’Histoire », dans laquelle il juxtapose ses propres œuvres photographiques avec des œuvres de sa collection privée. Cette exposition a été présentée aux Etats-Unis et au Canada, puis au Japon en 2008-2009. Chaque lieu est un prétexte pour la production de nouvelles œuvres de l’artiste et un choix de différentes pièces de sa collection.
L’exposition de la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent met en lumière les différents aspects des préoccupations artistiques de Sugimoto et plus précisément la naissance et le déclin du bouddhisme au Japon perpétué grâce aux multiples croyances et religions assimilées par la culture japonaise au fil des époques.
Les œuvres présentées questionnent l’éveil de la conscience, l’évolution des techniques et l’humanisation du monde avec un regard distancié et précis. Le face à face de ces pièces raconte, non sans humour et détournement, leurs influences réciproques qui amènent à une évocation ultime du paradis.
Le propos atteint son point culminant avec ACCELERATED BUDDHA, composé d’œuvres photographiques et d’une installation vidéo. Les prises de vues ont été réalisées après plus de sept années de négociation avec les autorités du temple de Sanjûsangendô de Kyoto. Les photographies présentent dans un format “grandeur nature” quelques vues des mille statues de Boddhisattva. La dernière salle de l’exposition immerge le visiteur dans un espace où une vidéo réalisée à partir des clichés est projetée sur trois écrans. La collection personnelle de Hiroshi Sugimoto comprend tout aussi bien des objets anciens, œuvres d’art antique, parfois d’importance muséale que des objets ou des artéfacts comme de la nourriture spatiale, des photographies de l’espace, des livres médicaux du XVIIIème siècle, des magazines Time datent de la Seconde Guerre mondiale, des fragments de météorites, des fossiles etc.
Pour ACCELERATED BUDDHA, Sugimoto présente des pièces maîtresses telles une statue de déesse Kannon à onze faces (période Heian, X-XIème siècle), un fragment de textile Horyuji (Période Nara, VIIIème siècle), une peinture sur soie de Monju Bosatsu – trésor national de la période Kamakura (XIIIème siècle), un masque Gyôdô de la période Heian (XIIème siècle), une gravure de Rembrandt (XVIIème siècle), objets sublimés, parfois revisités par un geste artistique contemporain venant se juxtaposer à la trace de l’Histoire. Le catalogue, conçu entièrement par l’artiste, vient développer encore davantage le propos à travers un choix abondant d’images de ses propres séries et de chefs-d’œuvres. Il s’agit de la première publication en français d’une sélection d’écrits et d’essais de Hiroshi Sugimoto. EMMANUELLE DE MONTGAZON
Hiroshi Sugimoto, Né en 1948 à Tokyo, vit et travaille à Tokyo et à New York.
- Exposition du 10 octobre 2013 au 26 janvier 2014
RENCONTRES
La Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent organise, autour de chacune de ses expositions, des rencontres ouvertes à tous : commissaires d’exposition, historiens, conservateurs, réalisateurs, comédiens etc. viennent approfondir et enrichir le regard que nous portons sur les sujets abordés par l’exposition.
Plus d’informations sur la programmation seront disponibles à partir du mois de septembre 2013, sur le site Internet de la Fondation www.fondation-pb-ysl.net et/ou en vous inscrivant à la newsletter. Rencontre incluse dans le prix du billet d’entrée de l’exposition. Réservation obligatoire : conferences@fondation-pb-ysl.net ou 01 44 31 64 17 / 19
La Fondation Pierre Bergé est située au 3 rue Léonce Reynaud, Paris 16ème