l’Ombre de Staline : Le sujet principal du film, c’est l’Holodomor, et c’est la croisade de Gareth Jones pour raconter la véritable histoire de ce qui s’est passé.
L’histoire : Pour un journaliste débutant, Gareth Jones ne manque pas de culot. Après avoir décroché une interview d’Hitler qui vient tout juste d’accéder au pouvoir, il débarque en 1933 à Moscou, afin d’interviewer Staline sur le fameux miracle soviétique. A son arrivée, il déchante : anesthésiés par la propagande, ses contacts occidentaux se dérobent, il se retrouve surveillé jour et nuit, et son principal intermédiaire disparaît. Une source le convainc alors de s’intéresser à l’Ukraine. Parvenant à fuir, il saute dans un train, en route vers une vérité inimaginable…
La découverte de Gareth Jones en Ukraine: l’Holodomor
Holodomor est un nouveau terme forgé en Ukraine pour définir l’extermination par la faim et son caractère intentionnel. En l’espace de deux ans, de l’été 1931 à l’été 1933, près de 7 millions de Soviétiques, dans leur immense majorité des paysans, moururent de faim au cours de la dernière grande famine européenne survenue en temps de paix: 4 millions en Ukraine, 1.5 millions au Kazakhstan et autant en Russie.
A la différence des autres famines, celles de 1931-1933 ne furent précédées d’aucun cataclysme météorologique. Elles furent la conséquence directe d’une politique d’extrême violence: la collectivisation forcée des campagnes par le régime stalinien dans le double but d’extraire de la paysannerie un lourd tribu indispensable à l’industrialisation accélérée du pays, et d’imposer un contrôle politique sur les campagnes, restées jusqu’alors en dehors du «système de valeurs» du régime.
Conséquence directe d’une politique qui bouleversa profondément le monde rural, la famine fut, en Ukraine, intentionnellement aggravée à partir de l’automne 1932 par la volonté inébranlable de Staline non seulement de briser la résistance particulièrement opiniâtre que les paysans ukrainiens opposaient à la collectivisation, mais aussi d’éradiquer le «nationalisme» ukrainien, ressenti comme une grave menace envers l’intégrité et l’unité de l’URSS. A l’égard des autres régions frappées par la famine, le groupe dirigeant stalinien manifesta plutôt une totale indifférence aux souffrances humaines. La famine n’y était qu’un «dommage collatéral» d’une prétendue modernisation. «Événement le plus marquant de l’histoire soviétique d’avant-guerre» (Andrea Graziosi, historien italien), ces famines sont restées l’épisode tabou de l’expérience soviétique, une expérience censée être porteuse de progrès et de modernité.
A son retour en Europe de l’ouest, le 29 mars 1933, Gareth Jones donna à Berlin une conférence de presse devenue célèbre, en présence d’une foule de journalistes du monde entier: “J’ai traversé des villages et une douzaine de fermes collectives. Je n’y ai vu que de la souffrance et des larmes. «Il n’y a plus de pain. Nous mourrons de faim». Cette souffrance s’étend partout en Russie, de la Volga à la Sibérie, du nord du Caucase à l’Asie centrale. Je me suis rendu au Centre-Tchernozem parce que c’était l’une des régions les plus fertiles de Russie, et aussi parce que la plupart des correspondants étrangers à Moscou ont oublié de s’y rendre pour voir de leurs propres yeux ce qui s’y passait. Dans le train, un communiste à qui je posais la question de la famine, en a nié l’existence. J’ai jeté un croûton de pain dans un crachoir. Un paysan qui partageait notre compartiment s’en est emparé comme s’il n’avait pas mangé depuis des jours. Puis j’y ai jeté l’écorce d’une orange, et ce paysan l’a dévorée. J’ai passé la nuit dans un village qui élevait jadis 200 bœufs. Il n’en restait que plus que 6. Les paysans mangeaient ce qu’il restait du fourrage du bétail. Ils me confièrent que beaucoup d’entre eux étaient déjà morts de faim. Deux soldats vinrent arrêter un voleur. Ils me recommandèrent d’éviter de voyager de nuit à cause des nombreux hommes “affamés” qui rôdaient.“Nous attendons la mort. Mais au moins, il nous reste encore du foin. Allez plus au sud. Là-bas, ils n’ont plus rien. Beaucoup de maisons sont vides. Leurs habitants sont morts”, me dirent-ils en pleurant.”
Le 31 mars, Walter Duranty publia un démenti dans le New York Times: LES RUSSES ONT FAIM, MAIS NE SONT PAS AFFAMÉS. Il affirma que le taux de mortalité élevé était imputable à des maladies liées à la malnutrition, que les villes les plus peuplées avaient de la nourriture en quantité, et qu’il n’y avait que l’Ukraine qui était concernée par des ruptures d’approvisionnement, pas le nord du Caucase ni le sud de la Volga. Il ajouta que le Kremlin contestait cette condamnation et que «les observateurs russes et étrangers dans le pays [n’avaient] aucune raison de croire à une catastrophe humanitaire».
Avec l’aimable contribution de Nicolas Werth, historien français spécialiste de l’histoire de l’Union soviétique, directeur de recherche à l’Institut d’histoire du temps présent (affilié au CNRS), et auteur de nombreux ouvrages sur la question dont «La vie quotidienne des paysans russes de la Révolution à la collectivisation(1917-1939)» (1984), et «Les Grandes Famines Soviétiques» (2020).
Agnieszka Holland
AH : Le sujet principal du film, c’est l’Holodomor, et le thème c’est la croisade de Gareth Jones pour raconter la véritable histoire de ce qui s’est passé. Il veut découvrir la vérité parce que c’est dans sa nature, ça va de pair avec son honnêteté, son éducation et son instinct. L’autre sujet important du film, c’est la manière dans le monde accueille la découverte de Jones : on voit comme les faits sont discrédités et déformés et comment les “fake news”, plus confortables pour tout le monde, finissent par l’emporter. Quand la vérité est enfin rendue publique, elle ne signifie plus rien.
On ne m’avait jamais demandé de faire un film sur l’Holodomor. Cela faisait un moment que j’y songeais et que je disais qu’il y a encore beaucoup de crimes commis par le régime communiste dont on ne parle pas. Le monde n’est pas au courant de ces crimes, alors que l’Holocauste est un fait connu dans l’Histoire de l’humanité. Même les Russes et les habitants des républiques anciennement soviétiques ne parlent pas des crimes commis au nom du communisme, alors que Staline a tué plus de 20 millions de ses propres citoyens !
Lors d’un sondage réalisé l’année dernière me semble-t-il, les gens ont élu Staline plus grand leader russe de l’Histoire. Pour bien comprendre à quel point c’est monstrueux, et l’influence que cela doit avoir sur la politique en Russie, il faut imaginer ce qui se passerait si les Allemands choisissaient aujourd’hui Hitler !
Je pense que le fait que ces atrocités sont enveloppées de silence est une des raisons du chaos moral que nous sentons en Europe aujourd’hui. J’ai lu quelque part que les conséquences physiologiques et psychologiques de la faim extrême peuvent se perpétuerloin dans l’avenir : sur cinq générations. Naturellement, “l’après” psychologique est difficile à évaluer. Un des lieux où nous avons tourné le film est un village abandonné en Ukraine qui n’est habité que par cinq vieilles femmes, eh bien elles se souviennent de l’Holodomor, mais elles nous ont aussi dit que personne n’en parlait, même quand elles étaient enfants, bien que leurs familles aient en grande partie péri pendant cette famine. Ainsi, d’une certaine manière, le sujet du génocide par la privation de nourriture m’attendait depuis un moment.
Les Artistes :
- Gareth Jones : James Norton
- Ada Brooks : Vanessa Kirby
- Walter Duranty : Peter Sarsgaard
- George Orwell : Joseph Mawle
- Loyd George : Kenneth Cranham
- Paul Kleb : Marcin Czarnik
- Maxim Litvinov : Krzysztof Pieczynski
- Matthew : Celyn Jones
- Sir Ernest Bennet : Martin Bishop
AU CINÉMA LE 18 MARS
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