2015-2025 : Une victoire posthume pour Charlie ?

“Increvable et universel” Riss – Edito

Dix ans après, Charlie Hebdo est toujours là. Les causes du drame aussi. Ainsi que la détermination des membres du journal. La situation géopolitique a évolué, s’est même aggravée. Des régimes autoritaires comme la Russie ou la Chine ne cachent plus leurs ambitions de combattre les valeurs démocratiques avec le même fanatisme que des organisations terroristes islamistes comme Daech ou al-Qaida. La démocratie est une idée qui semble de plus en plus contestée par des forces hostiles de plus en plus actives.

À l’occasion des dix ans des attentats de janvier 2015, la Fondation Jean-Jaurès publie une étude inédite réalisée en partenariat avec l’Ifop et Charlie Hebdo. Ce rapport analyse l’évolution de l’opinion publique française sur la liberté d’expression, le droit à la caricature et le rôle du dessin de presse dans la société. Il en ressort que les Français sont attachés à la liberté d’expression et de caricaturer, mais que le danger de l’autocensure n’est pas à négliger et qu’il existe un désengagement progressif des jeunes générations envers la liberté d’expression.

Un attachement renforcé aux libertés fondamentales

L’étude révèle un soutien croissant des Français à la liberté d’expression :

• En 2012, seuls 58 % des Français considéraient le droit à la caricature comme essentiel. En 2024, ce chiffre atteint 76 %, soit une progression de 18 points en 12 ans.
• 62 % des Français se déclarent favorables au droit au blasphème, contre 50 % en 2020, marquant une hausse significative en quatre ans.

Les résultats montrent que les attentats de janvier 2015 ont marqué un tournant. Ils ont consolidé l’attachement collectif à ces droits fondamentaux, transformant la défense de la satire en un symbole de résistance face au terrorisme et à l’obscurantisme. Preuve de ce soutien, plus de la moitié des Français (55%) considèrent qu’en France, la presse est libre et que Charlie Hebdo n’avait pas à se censurer, et pouvait publier les caricatures du prophète Mahomet en 2006, soit 4 points de plus qu’en 2012.

Des fractures générationnelles et religieuses

Malgré cette tendance générale, l’étude met en lumière certaines disparités préoccupantes :

• Jeunes générations : Seuls 56 % des moins de 35 ans participeraient aujourd’hui à une minute de silence pour Charlie Hebdo, contre 73 % des 35-64 ans et 80 % des plus de 65 ans, et un tiers (33%) participeraient aux marches républicaines ;
• Croyants : 66 % des croyants soutiennent la liberté d’expression, contre 82 % des athées. Les croyants sont également moins nombreux à défendre le droit au blasphème (56 % contre 74 % des athées).
• Français musulmans : 55 % estiment que la liberté de caricature doit être limitée, témoignant d’une divergence persistante sur ce sujet.

Par ailleurs, près d’un tiers (31%) des 18-24 ans considèrent que Charlie Hebdo n’aurait pas dû publier les caricatures de Mahomet en 2006, quand seuls 21% des 65 ans et plus le pense.

Un combat toujours d’actualité

Cette enquête souligne l’importance de préserver et de transmettre les valeurs républicaines associées à la liberté d’expression. Alors que les nouvelles générations expriment une plus grande sensibilité aux questions liées au politiquement correct, il est essentiel de réaffirmer que l’humour, la satire et la critique sont des piliers indispensables d’une démocratie vivante. En effet, malgré une adhésion générale renforcée à la liberté de presse, celle-ci est toujours fragilisée par des pressions extérieures et des évolutions sociétales. Pour garantir son avenir, il est impératif de poursuivre le combat pour sa défense à travers des initiatives éducatives, une médiation accrue, et un soutien constant aux professionnels menacés.

La une de 2006 de Cabu

Dans une seconde note d’analyse, Jérémie Peltier et Julien Serignac reviennent sur la une de Cabu, publiée en 2006 dans Charlie Hebdo qui dénonçait l’intégrisme islamiste sans amalgame avec l’ensemble des musulmans. L’enquête révèle que 63 % des Français jugent ce dessin intelligent, 60 % estiment qu’il aurait sa place dans un musée dédié à la liberté d’expression, et 53 % le trouvent drôle. Cependant, certains groupes, notamment les jeunes, les croyants et les sympathisants de la France Insoumise, affichent des réticences ou une incompréhension quant aux intentions du dessin.

L’étude met en lumière une majorité de Français qui distingue clairement islamisme et islam (72 %), mais aussi des divergences générationnelles et culturelles, illustrant la nécessité de renforcer la médiation autour du dessin de presse. Si la couverture de Cabu reste un symbole puissant de liberté et de lucidité, elle rappelle l’importance de défendre un art menacé par l’autocensure et le politiquement correct, tout en favorisant une meilleure compréhension de ses codes et de ses messages.

Télécharger l’enquête

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