Letizia Battaglia Via Calderai. Palerme, 1991
Letizia Battaglia Via Calderai. Palerme, 1991 © Archives Letizia Battaglia

L’exposition au Jeu de Paume – Tours dévoile le parcours hors norme de Letizia Battaglia depuis ses débuts à Milan dans les années 1970 jusqu’à sa mort.

LeJeu de Paume rend hommage à la photographe et activiste italienne Letizia Battaglia (1935-2022) à travers une grande rétrospective présentée au Château de Tours. Letizia Battaglia est aujourd’hui considérée comme l’une des grandes photographes du XXe et du début du XXIe siècle. Célèbre pour son travail sur Cosa Nostra, la mafia sicilienne qui règne pendant les années de plomb, son œuvre colossal – elle produit plus de 500 000 photographies – est pourtant très diversifié.

Cette exposition, coproduite par le Jeu de Paume et CAMERA, Turin en collaboration avec les archives Letizia Battaglia de Palerme, dévoile le parcours hors norme de la photographe depuis ses débuts à Milan dans les années 1970 jusqu’à sa mort, survenue en 2022 dans sa ville natale. Elle met en lumière, à travers une sélection d’environ 200 tirages originaux et modernes, l’extraordinaire faculté de Letizia Battaglia à montrer le monde avec une passion fougueuse, en direct, sans en cacher aucun aspect, des plus effroyables aux plus poétiques.

Née à Palerme en 1935, Letizia Battaglia est mariée dès 16 ans, ses ambitions littéraires sont alors freinées par son époux qui la cantonne à un rôle traditionnel de femme au foyer et mère de famille. C’est finalement comme pigiste pour L’Ora, quotidien de gauche sicilien, que débute sa carrière en 1969. Deux ans après, elle divorce et part pour Milan accompagnée de ses trois filles. En tant que journaliste, elle collabore pour les revues Ore et ABC et réalise des reportages qui témoignent de son intérêt pour le corps féminin nu, sujet qui revient à la fin de sa carrière. À Milan, elle capture la vie des habitants et fait la rencontre d’intellectuels tels le futur Prix Nobel Dario Fo et Pier Paolo Pasolini. En 1974, après un séjour parisien, elle revient à Palerme et devient directrice de la photographie de L’Ora.

Dans la ville italienne, théâtre des guerres entre les clans mafieux au cours des années 1970 et 1980, elle décide de témoigner de la violence ambiante en montrant les crimes qui s’y jouent à travers des photographies fortes. Ses reportages lui permettent d’acquérir progressivement une renommée importante jusqu’à devenir persona non grata dans les plus hautes sphères politiques. Ses tirages de victimes de la mafia, montrés dans les journaux et affichés dans l’espace public, mettent sa vie en danger. Parmi ses clichés célèbres figurent, pour la plupart en noir et blanc, ceux du futur président de la République italienne, Sergio Mattarella sortant de la voiture son frère Piersanti Mattarella, président de la Région Sicile, tout juste tué par la mafia locale, mais également celui qui témoigne de l’arrestation d’un des criminels parmi les plus dangereux de Cosa Nostra, Leocula Bagarella.

Mais son œuvre ne s’arrête pas aux guerres mafieuses qui ensanglantent l’Italie à cette époque. En Sicile, elle photographie avec passion tous les aspects de la vie insulaire, sa complexité et ses contrastes – entre l’extrême pauvreté qui y règne et les classes aisées de la région. Elle capture aussi avec beauté et poésie la vie des habitants rythmée par les rites et traditions : de la naissance aux funérailles en passant par les fêtes religieuses. Son travail se tourne également vers les populations les plus fragiles et notamment les femmes et les enfants lorsqu’elle s’engage dans la lutte pour les droits humains, engagement pour lequel elle reçoit le prix W. Eugène Smith (1985) avec Donna Ferrato – une autre femme engagée. S’investissant pleinement en politique, elle est élue au conseil municipal de Palerme de 1987 à 1990 et est députée de l’Assemblée régionale sicilienne aux régionales de 1991, œuvrant alors pour la réhabilitation du centre historique de la ville.

C’est l’année suivante qu’elle perd deux de ses amis, les juges anti-mafia Paolo Borsellino et Giovanni Falcone : elle cesse alors de photographier les crimes de guerre entre les clans. La fin de sa carrière est notamment marquée par la participation à des festivals et par l’inauguration, en 2017 d’un centre international de la photographie à Palerme. Convaincue de la fonction sociale du médium, elle a toujours su conjuguer son activité de reporter avec un militantisme politique et culturel intense, et se transformer tour à tour en autrice ou éditrice, autant d’aspects de son action auxquels le parcours de l’exposition rend hommage. Le parcours de l’exposition, thématique et chronologique, est organisé autour de plusieurs grandes sections. Il s’ouvre sur les débuts à Milan, dans le domaine des faits divers, avec des clichés inédits dévoilant, avec un certain humour, les premières années de la libération sexuelle en Italie.

La visite se poursuit avec les images de la vie à Palerme et dans le reste de la Sicile, durant les années 1970 puis dans les années 1980, en montrant toute la diversité et les contrastes qui se jouent à cette époque – la mafia, les procès devenus historiques, la misère, les enfants jouant dans la rue – qui tranchent avec les vues de la plage de Mondello, ses habitués et ses amis connus ou moins connus tels l’écrivain Goffredo Fofi ou le peintre Renato Guttuso. Dans cette partie sont présentées des images parmi les plus célèbres de Letizia Battaglia. Son travail, moins connu, dans l’hôpital psychiatrique de Palerme où elle a œuvré à la fois en tant que photographe et activiste est également présenté.

L’exposition revient sur un thème qui lui est cher : les fêtes religieuses en Sicile. Enfin, elle fait voyager les visiteurs dans les régions du monde qu’elle a traversées depuis les années 1980, depuis la Turquie aux Etats-Unis en passant par l’Egypte, la Yougoslavie et l’Union Soviétique où elle immortalise, sous son objectif, des territoires et ses habitants, source d’inspiration infinie. Enfin, le parcours s’achève par un résumé photographique de tous les thèmes qui ont parcouru son œuvre jusqu’aux dernières années, marquées par une reconnaissance internationale et le retour aux nus, comme un retour aux origines.

Château de Tours 
25 Av. André Malraux, 37000 Tours
Exposition du 5 décembre 2024 au 18 mai 2025

Commissaire de l’exposition : Walter Guadagnini

Letizia Battaglia L’arrestation du féroce [impitoyable] parrain mafieux Leocula Bagarella. Palerme, 1979
Letizia Battaglia L’arrestation du féroce [impitoyable] parrain mafieux Leocula Bagarella. Palerme, 1979 © Archives Letizia Battaglia