Sarah Bernhardt : LA DIVINE – un film de Guillaume Nicloux
ENTRETIEN AVEC GUILLAUME NICLOUX
Sarah Bernhardt est d’une stupéfiante modernité, mais elle est aussi un être à mille facettes. Comment est-elle entrée dans votre vie et votre cinéma ?
GUILLAUME NICLOUX : C’est grâce à Nathalie Leuthreau, qui a écrit le scénario, que je me suis passionné pour Sarah Bernhardt. J’avoue que je la connaissais mal, Nathalie a lu tout ce qui la concerne et construit une somme extrêmement précise et factuelle avant qu’on ne dégage progressivement deux axes parmi la folie et le tourbillon que fut sa vie : la journée de son jubilée et l’amputation de sa jambe. Pour s’atteler à ce “monstre sacré”, nous avons rapidement éliminé l’obligation du biopic réaliste et du récit totalisant. Paradoxalement, les deux moments clés que l’on a choisis sont peu documentés. Le film se niche dans l’absence de certitude, ce qui est très stimulant pour un cinéaste. Qu’est-ce qui vous rapproche le plus de Sarah Bernhardt ?
J’ai toujours un fond d’anarchisme punk qui me conduit à m’intéresser à des figures rebelles et à contre-courant, nourrie au « ni Dieu ni maître ». Sarah Bernhardt fait partie de ces personnes vampires, capables de vous aspirer par leur présence, leurs exigences et leurs contradictions, leur générosité et leur démesure. C’est une femme qui est dans le trop : trop aimante, trop violente, trop injuste, trop éprise de justice, trop révoltée. Toutes ces facettes ne vont pas les unes sans les autres, et se nourrissent mutuellement. Il est en ce sens un film « romantique » assumé, une histoire d’amour où la passion d’une femme artiste prévaut sur la raison et la morale. Un destin unique dont la vie a été guidée par l’imagination et le dépassement de soi. Sa modernité est frappante… En particulier son affranchissement de la main mise patriarcale, qui s’exprime tout au long de sa vie, ses amours multiples, son opposition à l’autorité alors qu’elle en pratique les excès, son interprétation de rôles masculins… il y a ses engagements politiques, sa bisexualité, sa façon d’assumer la maternité sans mari… c’était très subversif pour l’époque… diriger un théâtre, s’occuper des costumes, des décors, couper dans les pièces, réécrire le texte si ça ne lui convenait pas. Elle est radicale et obstinée, ce qui force le respect. Elle gère son argent elle-même, s’affranchit des bonnes manières, se contredit et le revendique… mais Sarah Bernhardt est aussi avant-gardiste dans son art car elle invente un jeu théâtral. C’est très troublant de voir comment elle applique de manière anticipée la méthode Stanislavski en faisant appel à sa mémoire affective. Selon elle, pour jouer la douleur sur scène il faut avoir mal, pour faire pleurer, il faut que de vraies larmes coulent, et même si elle prétend dans le film qu’il faut principalement donner envie de pleurer, l’interprétation n’exclut pas la souffrance. Pourtant, son jeu ne correspond pas à l’intériorité que développera plus tard Kazan et Strasberg à l’Actors Studio. Elle a réussi avant l’heure le mariage improbable entre intériorité et excentricité. Quand Nathalie et moi avons entendu la voix de Sarah Bernhardt dans la maison Jean Cocteau, on était abasourdis par la manière dont elle déclame. Jouer ainsi aujourd’hui semblerait totalement surréaliste.
Sandrine Kiberlain est exceptionnelle. Avez-vous dès le début de l’aventure pensé à elle ?
GUILLAUME NICLOUX : Oui. La première lecture d’une version de scénario pour Sandrine date d’il y a cinq ans. On lui a envoyé et le jour même elle nous a appelés à 23h en nous disant qu’elle était emballée par le projet. Ça a été très stimulant de savoir qu’on avait touché une corde sensible chez une actrice émue par le destin singulier d’une autre comédienne. Et Sandrine a été extraordinaire d’inventivité et de concentration tout au long du tournage. Au point qu’elle me donnait l’impression de découvrir Sarah Bernhardt en la regardant. Par exemple tout d’un coup, alors qu’elle interprétait Sarah, dans sa période âgée, un rire a surgi, auquel je ne m’attendais absolument pas. D’où venait-il ? Je n’en sais rien. Toutes les scènes sont costaudes, car elles sont pleines à craquer d’excès, et il ne fallait pas pour autant en faire trop, être ridicule. La devise de Sarah Bernhardt est “quand même”. “Quand même, je vais le faire.” Et Sandrine l’a fait totalement et à merveille. Il n’y a quasiment pas de scène sans elle. Sandrine Kiberlain est Sarah Bernhardt sans jouer comme elle. La question de l’imitation s’est-elle posée ? Non. On savait que ce serait impossible et cela ne m’intéressait pas. En revanche, il fallait réinventer Sarah de manière à ce qu’on comprenne pourquoi elle fascinait autant, pourquoi le public était bouleversé, pourquoi des femmes et des hommes s’évanouissaient dans la salle. Pour asseoir un jeu intériorisé, on a donc commencé par une scène d’agonie, elle les adorait, où l’on peut se laisser prendre au leurre, pour installer définitivement l’engagement qu’elle mettait dans ses rôles.
ENTRETIEN AVEC SANDRINE KIBERLAIN
Comment construit-on un personnage comme Sarah Bernhardt ?SANDRINE KIBERLAIN :
Peut-être en évitant toute construction volontaire. Il ne faut surtout pas penser à ce qu’elle représente, à son aura de “monstre sacré” comme la nommait Cocteau. Ce serait intimidant. Je me suis attachée à des données plus impalpables : son énergie, sa liberté, en essayant de me dégager le plus vite possible de ce qui aurait pu être frein.
Qu’avez-vous découvert, dans cette plongée dans les eaux de Sarah Bernhardt ?
SANDRINE KIBERLAIN : J’ai découvert la femme. J’ai lu plusieurs biographies dont ses mémoires pendant que j’apprenais le texte. C’est le seul travail que j’ai fait en amont : connaître le texte comme si c’était ma propre langue. C’est la première fois que je travaillais avec une répétitrice et pendant trois mois, j’ai appris les répliques. Il fallait complètement l’assimiler, car Sarah Bernhardt va très vite dans sa façon de s’exprimer. Impossible d’être hésitante et de prononcer un mot pour un autre. On débutait le tournage en janvier, je m’y suis mise en octobre, comme on apprend une pièce de théâtre, par des lectures à la table, qui devaient s’inscrire dans mon cerveau. Et peu à peu, en apprenant, Sarah arrivait. J’osais de plus en plus mettre le ton, les intentions. Je faisais connaissance avec elle.
Le film est aussi un documentaire sur une actrice qui joue une autre actrice…
SANDRINE KIBERLAIN : Absolument. C’est tout récemment que je me suis aperçue que le film est aussi un documentaire sur le jeu.
Nathalie Leuthreau
“Véritable mythe devenu la première « star » connue dans le monde entier, Sarah Bernhardt a de quoi intriguer. Elle a non seulement marqué d’une empreinte indélébile son époque, mais son nom a traversé le 20ème siècle et reste encore pérenne aujourd’hui. Pourtant, force est de constater que peu de personnes savent vraiment qui elle était.
« Sarah Bernhardt, La Divine » n’est donc pas un biopic mais un portrait inspiré de la vie de Sarah Bernhardt. Une Sarah croquée d’un geste libre, à son image, assumant le mensonge dans sa plus belle sincérité.”
LISTE ARTISTIQUE
- Réalisateur : Guillaume NICLOUX
- Scénario : Nathalie LEUTHREAU
- Sarah Bernhardt : Sandrine KIBERLAIN
- Lucien Guitry : Laurent LAFITTE
- Louise Abbéma : Amira CASAR
- Suzanne : Pauline ETIENNE
- Charlotte Lysès : Mathilde OLLIVIER
- Pitou : Laurent STOCKER de la Comédie-Française
- Maurice Bernhardt Grégoire : LEPRINCE-RINGUET
- Georges Clairin Clément : HERVIEU-LÉGER de la Comédie-Française
- Samuel Pozzi : Sébastien POUDEROUX de la Comédie-Française
- Edmond Rostand : Sylvain CREUZEVAULT
- Sacha Guitry (30 ans) : Arthur MAZET
- Émile Zola : Arthur IGUAL
A voir aussi sur artsixMic :
Le Festival du Film Libanais de France
Emmanuelle demain dans les salles !
Tatami : Un film de Guy Nattiv et Zar Amir
Series Mania Institute : “Galerie Désastre”
Le festival international du film responsable
Moi aussi au 77e Festival de Cannes
L’Oréal à Cannes : Lights on Women’s Worth
Baloji et Emmanuelle Béart coprésident le Jury de la Caméra d’or 2024 !
Civil War met en scène une guerre civile aux États-Unis
Le Festival de Cannes et la Compétition Immersive !
Greta Gerwig présidente du Festival de Cannes 2024
Série documentaire Arte – Dessiner pour résister !
Vivants – Un film de Alix Delaporte
Xavier de Lauzanne : LA BEAUTE DU GESTE
MOI CAPITAINE de Matteo Garrone déjà dans les salles
INVINCIBLE : Un film de Vincent René-Lortie
Le Festival International du Film de Conakry
Blak Australia : Le Cinéma Aborigène Australien
Eye Haïdara, marraine de Mon Premier Festival !
Emilia Clarke reçoit le prix du Nouvel Hollywood
Le Marrakech Short Film Festival 2023
3ème édition du Festival du Film Féministe !
Le Festival du Cinéma Féminin Taiwanais !
Indiana Jones et le cadran de la destinée
Le Festival du Film de Fesses : 8ème édition !
Les palmarès du Festival de Cannes 2023
Festival de Cannes : Le gagnant de la Palm Dog ?
Augure le premier long métrage de Bajoli
artsixMic go to the festival de Cannes 2023
Eliane Umuhire – Trees of Peace – Interview