Barbaque and barbeuc…
Barbaque and barbeuc… Les viandards sont-ils tous des machos ?

En constatant avec humour que « les garçons, ça veut toujours manger (…) de la viande et des patates »[1], Florence Foresti avait mis le doigt, il y a déjà quelques années, sur une consommation différentielle entre les sexes observée dans les grandes enquêtes publiques : la dernière étude de l’Anses (Inca 3) montrait ainsi qu’en moyenne, les hommes consomment deux fois plus de viande rouge (61,2 g/jr) que les femmes (34,1 g/jr).

Observé dans toutes les autres enquêtes portant sur l’alimentation des Français (ex : Ifop-ESTEBAN 2014-2016, CREDOC-CCAF 2016…), ce différentiel de consommation, déjà analysé par Pierre Bourdieu dans les années 70 [2], serait le fruit d’une attitude masculine plus hédoniste à l’égard de l’alimentation : le modèle alimentaire masculin étant moins perméable aux discours nutritionnels et aux exigences esthétiques que celui des femmes.

Entre l’appel à déviriliser le « barbecue » (Sandrine Rousseau) et le plaidoyer en faveur d’une « bonne viande » (Fabien Roussel) en passant par les polémiques sur l’introduction de menus végétariens dans les villes EELV, ces derniers mois ont été marqués par une politisation croissante des enjeux liés à l’alimentation dans un contexte où les milieux identitaires érigent de plus en plus la viande en symbole de la virilité et de résistance à un certain « politiquement correct » alimentaire.

Alors que ce débat prend un tour judiciaire avec l’ouverture d’un procès entre la Fédération nationale des chasseurs et Sandrine Rousseau, l’Ifop et Darwin Nutrition publient la première enquête de fond sur les rapports au genre et à la politique des amateurs de viande. Réalisée auprès d’un échantillon de taille conséquente (2 000 hommes âgés de 18 ans et plus), cette enquête met non seulement en exergue le fait que la consommation de viande est devenue un marqueur politique fort mais aussi qu’un régime alimentaire hyper-carné va souvent de pair avec une vision ultra-conservatrice de la place de la femme dans la société.

Si les propos de Sandrine Rousseau sur la virilité du barbecue avaient fait l’objet de vives réactions, l’opinion des hommes s’avère beaucoup plus nuancée : 62% partagent le point de vue de la députée pour qui il faut déviriliser la consommation de viande cuite au barbecue

Ce soutien de principe à une évolution des mentalités ne les empêche pas pour autant de reconnaître que cet ustensile fait, pour l’heure, l’objet d’un quasi-monopole masculin : 78% des hommes s’occupent plus souvent du barbecue que leur conjoint(e), dont 41% de façon exclusive

Sobriquet moqueur affublé par les « mascus » aux hommes avalant des protéines végétales, le terme de « soy boy » est massivement désapprouvé par les Français (72%), conscients qu’il vise à dénigrer les hommes osant transgressant les normes alimentaires assignées à leur genre

Les Français sont encore très imprégnés par les clichés associant virilité et viande, signe qu’avec l’adage « fort comme un bœuf », ils ont intériorisé la thèse selon laquelle l’énergie vitale de l’animal confère l’énergie nécessaire au développement de leur masse musculaire

Loin d’être difficile à assumer socialement, l’étiquette de « viandard » est aujourd’hui affichée par une majorité de Français (56%). Mais surtout, les hommes revendiquant le plus fièrement ce statut de « très viandard » (18%) présentent un profil très droitier.

A l’inverse, les « flexitariens » auto-proclamés – définis comme les hommes essayant « de manger de la viande le moins possible » – s’avèrent nettement plus représentés parmi les électeurs Mélenchon (18%) ou Jadot (27%)

Les gros consommateurs de viande de bœuf s’avèrent nettement plus imprégnés de stéréotypes sexistes que les hommes en ayant une consommation modérée. Cela transparaît dans une conception beaucoup plus traditionnaliste de la famille et davantage d’adhésion à la culture du viol.

Dans le contexte d’ouverture du procès mené envers Sandrine Rousseau pour des propos liant arme de chasse et féminicides, il est aussi intéressant de noter que les chasseurs sont aussi très imprégnés par les stéréotypes de genre et une tolérance plus forte au harcèlement sexiste

UNE MAJORITÉ DE FRANÇAIS JUGENT NÉCESSAIRE DE DÉVIRILISER L’USAGE DU BARBECUE…

Après avoir émis le vœu que « manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité », la députée Sandrine Rousseau a suscité des débats animés sur les réseaux sociaux et sur les chaînes d’info, supports où elle s’est vu reprocher un discours militant déconnecté des attentes des Français. Or, d’après les résultats de cette étude, le point de vue de la députée de Paris serait partagé par une majorité des Français. En effet, 62% des hommes interrogés approuvent son idée de déviriliser la consommation de viande cuite au barbecue, les plus nombreux à la soutenir étant naturellement les sympathisants de son parti (à 75%) et les hommes les plus féministes (à 70%).

LES HOMMES REJETTENT MASSIVEMENT LES QUALIFICATIFS VISANT A DÉVIRILISER LES HOMMES MANGEANT DE LA VIANDE VÉGÉTALE…

Sobriquet moqueur affublé par les « mascus » aux hommes ayant perdu leur puissance virile à force d’avaler des protéines végétales, le terme de « soy boy » est aujourd’hui massivement désapprouvé par les Français (72%), sans doute conscients que l’usage de ce terme s’inscrit dans une volonté de dénigrement des aliments à connotation féminine et, par-là, des hommes osant transgresser les normes alimentaires assignées à leur genre. Très logiquement, c’est surtout dans les rangs des sympathisants d’extrême-droite que ce terme à ses adeptes (45% chez les sympathisants zemmouriens, 35% chez les sympathisants RN), conformément à son terreau d’origine américain.

L’ETIQUETTE DE « VIANDARD », UN MARQUEUR DE DROITE ?

Signe que les débats sur les méfaits des produits carnés n’ont pas encore fait de la « barbaque » un aliment difficile à assumer socialement, l’étiquette de « viandard » est aujourd’hui affichée par une majorité de Français (56%) et ceci alors même qu’il s’agit d’un terme familier et potentiellement péjoratif. Mais surtout, les hommes revendiquant le plus fièrement ce statut de « viandard » – à savoir les 18% d’hommes se qualifiant eux-mêmes de « très viandards » –, présentent un profil très droitier si l’on en juge par leur surreprésentation parmi les répondants situés tout à droite de l’échiquier politique : 33%, soit trois fois plus que les hommes se situant « à gauche » (12%).

MODÉRER SA CONSOMMATION DE VIANDE, UN RÉFLEXE D’ÉCOLO-PROGRESSISTES…

Ce tropisme droitier se retrouve également dans le profil des hommes ignorant totalement les effets négatifs d’une surconsommation de produits carnés : les hommes mangeant de la viande sans jamais se soucier de la fréquence à laquelle ils en mangent s’avèrent en effet trois fois plus nombreux dans les rangs des sympathisants RN (54%) que dans les rangs des sympathisants EELV (19%). A l’inverse, les « flexitariens » auto-proclamés – définis comme les hommes essayant « de manger de la viande le moins possible » – s’avèrent nettement plus représentés parmi les électeurs Mélenchon (18%) ou Jadot (27%) que dans les autres électorats du dernier scrutin présidentiel.

BŒUF A DROITE, SOJA A GAUCHE…

Si des clivages politiques très nets apparaissent en fonction de la fréquence de consommation de viande en général, c’est aussi le cas pour certains types / morceaux de viande. Particulièrement chargé symboliquement, le bœuf est ainsi un des plus clivants idéologiquement, avec des pièces de « boucherie haut de gamme » (ex : côte de bœuf, bœuf maturé…) qui s’avèrent très populaires à la droite de la droite (sympathisants Reconquête). A l’inverse, les adeptes de viande végétale (ex : steaks de tofu ou de soja) sont très nettement surreprésentés dans les rangs des partis de gauche (EELV, LFI).

DES « VIANDARDS » TOUS MACHOS ? DU MYTHE A LA REALITE…

Afin de savoir si le gout pour la viande va de pair avec une vision de la femme particulière, l’Ifop a mesuré le degré d’adhésion des Français à une dizaine stéréotypes sexistes testés depuis des années dans les enquêtes de société (INED, Eurobaromètre…) puis a observé s’il y avait des différences en fonction du type et de la fréquence de consommation de viande, le tout contrôlé par des tests de significativité statistique. Or, les résultats montrent que si la consommation de viande en général (tous types de viande) influe peu sur le degré de sexisme de la gent masculine, ce n’est pas le cas de la consommation de viande de bœuf, de gibier et d’une pratique comme la chasse qui dénote généralement un faible souci du bien-être animal…

LES GROS CONSOMMATEURS DE BŒUF ET DE GIBIER ADHÈRENT BEAUCOUP PLUS AUX STÉRÉOTYPES SEXISTES

De manière générale, les gros consommateurs de viande de bœuf – c’est-à-dire qui en mangent tous les jours – s’avèrent nettement plus imprégnés de stéréotypes sexistes que les hommes en ayant une consommation modérée.

Cela transparaît par exemple dans une conception beaucoup plus traditionnaliste de la famille avec un taux d’adhésion à l’idée que « Le travail d’un homme, c’est de gagner de l’argent, celui d’une femme de s’occuper de la maison et de la famille » quatre fois plus répandu chez les consommateurs quotidiens (41%) que chez ceux en mangeant moins d’une fois par semaine (12%). De même, la culture du viol, mesurée par l’indicateur « Lorsqu’on veut avoir une relation sexuelle avec elles, beaucoup de femmes disent « non » mais ça veut dire « oui » », s’avère trois fois plus forte dans les rangs des gros consommateurs (36%) que dans ceux qui en ont une consommation modérée (12%).

Dans le contexte d’ouverture du procès mené envers Sandrine Rousseau pour des propos liant arme de chasse et féminicides, il est aussi intéressant de noter que les chasseurs sont aussi très imprégnés par les stéréotypes de genre. Les chasseurs actuels se distinguent notamment par une tolérance plus forte au harcèlement sexiste et sexuel tel qu’on peut le mesurer via le taux d’adhésion à des affirmations comme « Lorsqu’on veut avoir une relation sexuelle avec elles, beaucoup de femmes disent « non » mais ça veut dire « oui » » (39%, contre 12% aux non-chasseurs) ou « Pour la séduire, un homme doit pouvoir être libre d’importuner une femme qui lui plaît » (47%, contre 15% aux non-chasseurs).

[1] Florence Foresti, Florence Foresti fait des sketches, 2004-2006
[2] Pierre Bourdieu, La Distinction – Critique sociale du jugement (Éd. de Minuit, 1979)

Lire également : https://reporterre.net/Les-hommes-ces-viandards-qui-plombent-le-climat

Etude IFOP pour DARWIN NUTRITION réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 5 au 7 septembre 2022 auprès d’un échantillon de 2 033 hommes, représentatif de la population masculine française âgée de 18 ans et plus.