Enquête auprès des Françaises sur la question du genre et du féminisme dans leur vote au second tour de l’élection présidentielle.
A l’occasion de la publication dans ses colonnes d’un appel de personnalités féminines à faire barrage à l’extrême-droite, le magazine ELLE a commandé à l’Ifop une enquête afin de mesurer l’importance de la question du genre et du féminisme dans le vote des femmes au second tour de l’élection présidentielle. Réalisée auprès d’un échantillon national représentatif de 1 000 Françaises âgées de 18 ans et plus, cette enquête montre que, dans le duel qui l’oppose au président sortant, Marine Le Pen semble tirer profit à la fois de son genre et du « féminisme washing » qu’elle pratique depuis son arrivée à la tête de son parti il y a une dizaine d’années.
De moins en moins perçue comme une menace pour les droits des femmes, la candidate du RN est même jugée « féministe » par une Française sur deux ?
Aussi contre-intuitifs qu’ils puissent paraître quand on connaît la place que l’extrême-droite accorde historiquement aux femmes, les résultats de cette enquête révèlent que le nombre d’électrices qui trouvent que Marine Le Pen est « féministe » est nettement supérieur (49%) à la proportion de femmes qui qualifient Emmanuel Macron de « féministe » (30%). Toutefois, ils montrent aussi que les femmes les plus conscientisées sur ces enjeux – celles qui se disent « très féministes » – sont moins nombreuses à lui reconnaitre cette étiquette de « féministe » (29%), signe que le jugement des Françaises dépend beaucoup de leur degré d’engagement et d’information sur ces sujets.
LA PERCEPTION DU CARACTÈRE FÉMINISTE DE CHACUN(E) DES CANDIDAT(E)S
De même, la perspective de voir la candidate nationaliste élue à la présidence de la République suscite de moins en moins d’inquiétude dans l’électorat féminin : moins d’une électrice sur trois (31%) se disent aujourd’hui inquiètes pour leurs droits si elle parvenait à l’Elysée, contre 41% en octobre 2021 (-10 points). Il faut sans doute y voir l’impact d’une campagne où la députée est allée jusqu’à se présenter comme la défenseure de « préoccupations des droits des femmes au sommet de l’État » (8 mars 2022) mais aussi les bienfaits que la candidature d’Éric Zemmour a pu avoir sur son image. Car en ressuscitant une offre électorale conservatrice aux accents virilistes voire misogynes finalement très similaire à celle de Le Pen père, le polémiste a probablement recentré l’image de sa fille, notamment en donnant l’impression qu’elle avait beaucoup évolué sur les questions de société.
L’INQUIÉTUDE POUR LES DROITS DES FEMMES SUSCITÉE PAR L’ÉVENTUELLE ARRIVÉE DE MARINE LE PEN À L’ELYSÉE
Or, cette décrispation de l’électorat féminin à son égard se traduit par une disparition du « radical right gender gap » au second tour, c’est-à-dire de la moindre propension des femmes à voter traditionnellement pour l’extrême-droite. En effet, alors que le vote en faveur de son père au second tour était en 2002 deux fois plus faible chez les femmes (11%) que chez les hommes (26%), l’écart entre les deux sexes a considérablement fondu il y a cinq ans – le vote lepéniste était en 2017 à peine plus fort dans l’électorat masculin (36%) que féminin (33%) – et il s’avère désormais inexistant : 47% des électrices ont l’intention de voter pour la candidate nationaliste le 24 mai, soit une proportion presque identique à celle observée chez les hommes (48%).
LES INTENTIONS DE VOTE DE FEMMES AU SECOND TOUR
Evolution du rapport de force au second tour dans l’électorat féminin entre 2017 et 2022
Marine Le Pen tire profit à la fois de son genre et des effets d’une rhétorique « fémonationaliste » qui tend à attribuer les violences sexuelles aux seuls immigrés
Le hiatus entre l’image que Marine Le Pen renvoie auprès des femmes et la réalité de son programme en leur faveur s’explique par plusieurs facteurs. D’une part, cette image tient à sa crédibilité sur les questions sécuritaires et à la rhétorique « fémonationaliste » qu’elle a activée depuis son arrivée à la tête du FN (2011), rhétorique dans laquelle elle réduit les violences sexuelles aux seules violences subies dans l’espace public et dont elle attribue la principale responsabilité aux immigrés ou à leurs descendants. Ce discours semble en effet la rendre plus crédible que son concurrent sur les questions des violences faites aux femmes si l’on se fie à la proportion de Françaises qui lui font davantage confiance pour lutter contre le harcèlement de rue (51% contre 34% à Emmanuel Macron), les violences sexuelles (48% contre 36%) ou les violences conjugales (48% contre 36%). Les électrices font en revanche plus confiance à Emmanuel Macron qu’à la candidate RN pour lutter contre la haine contre les LGBT (50% contre 29%), s’opposer aux stéréotypes de genre (46% contre 40%) ou améliorer l’accès à la contraception et à la santé sexuelle (45% contre 41%). Il faut sans doute y voir le fruit de l’action du président sortant qui, à travers différentes mesures (ex : élargissement de la PMA aux couples lesbiens, allongement du congé paternité, gratuité de la contraception pour les moins de 25 ans…), a pu « gauchiser » son bilan sociétal en fin de quinquennat et ainsi continuer à accoler au macronisme l’étiquette porteuse de progressisme.
LA PERCEPTION DU/ DE LA CANDIDAT(E) LE/ LA PLUS FAVORABLE AUX DROITS DES FEMMES DANS DIFFÉRENTS DOMAINES
D’autre part, la bonne image de Marine Le Pen auprès de l’électorat féminin semble aussi tenir au genre d’une candidate qui a beaucoup joué la carte de la féminité et de la mère de famille dans ses documents de campagne (ex : affiches, tracts…) comme dans certaines émissions TV (ex : Une ambition intime sur M6). Ainsi, aujourd’hui, 43% de ses potentielles électrices déclarent que le fait qu’elle « soit une femme joue dans leur vote en sa faveur », les jeunes étant les plus sensibles à ce critère dans leur choix de vote. A titre de comparaison, les électrices macronistes sont quasiment deux fois moins nombreuses (26%) à dire que fait que « Emmanuel Macron soit un homme joue dans leur vote en sa faveur ». Pour une candidate RN qui revendique son statut de « femme d’État » – son slogan – autant que celui de mère célibataire, sa féminité constitue donc dans la campagne présidentielle un indéniable atout.
LA PRIME LIÉE AU GENRE DU CANDIDAT DANS LE CHOIX DES ÉLECTRICES
Enfin, une variable plus politique semble peser dans le fait que les femmes soient de plus en plus disposées à voter pour une candidate d’extrême-droite : le faible poids de la lutte contre le sexisme dans leur choix électoral au premier comme au second tour. En effet, la place des droits des femmes et de la lutte contre le sexisme dans les déterminants du vote féminin du premier tour n’a pas plus pesé en 2022 (48%) qu’en 2017 (47%), cet enjeu arrivant très loin derrière des thématiques comme le pouvoir d’achat (71%), l’insécurité (60%) ou la lutte contre la précarité (60%). Et au second tour, cette question risque de peser encore moins dans la structuration du vote féminin si l’on en juge par la faible proportion d’électrices pour qui le droit des femmes sera déterminant dans leur vote au 2e tour : 23%, dont 35% chez les femmes de moins de 25 ans.
LE POIDS DU DROIT DES FEMMES DANS LE VOTE FEMININ AU 1er TOUR
Evolution entre 2017 et 2022
Le point de vue de François Kraus de l’Ifop
Dans un électorat féminin qui pèse pour 53% du corps électoral, force est de constater que Marine Le Pen tire les fruits du travail de dédiabolisation enclenché il y a une dizaine d’années et qui s’est accentué ces six derniers mois avec l’offre concurrente ultra-conservatrice portée par Éric Zemmour. Grâce à une rhétorique « fémonationaliste » qui fustige le sexisme uniquement quand il est le produit d’hommes d’origine immigrée, la candidate du RN a adouci son image tout en se rapprochant d’autres droites populistes européennes qui, comme le PVV de Geert Wilders aux Pays-Bas, lient aussi « liberté » des mœurs (ex : femmes, LGBT) et xénophobie. La conséquence en est que les femmes, jadis marquées par une forte réticence aux postures viriles du nationalisme traditionnel, ne sont désormais pas plus frileuses que les hommes aux sirènes du lepénisme. Mais cette enquête est aussi un désaveu cinglant pour l’action d’Emmanuel Macron dans un domaine, les droits des femmes, pourtant érigé en « grande cause du quinquennat ». Quelque soit la réalité de son bilan (ex : Grenelle des violences conjugales…), il semble que les déceptions et les critiques des féministes en la matière aient profondément écorné l’image de celui qui s’était présenté en 2017 comme « le candidat des femmes ».
Questionnaire auto-administré en ligne du 11 au 13 avril 2022 auprès d’un échantillon de 1 039 femmes âgées de 18 ans et plus.
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