Sophie fait son blog à Cannes, épisode 1

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    Festival Cannes 2013

    Suivez le Festival de Cannes avec Sophie, l’héroïne des romans de Sylvie Bourgeois*. Sophie, c’est avant tout un état d’esprit, un regard décalé, libre et non convenu sur la vie. Chaque jour, Sophie qui vient de s’improviser bloggeuse, relatera son Festival de Cannes. En attendant ses chroniques, vous pouvez lire la nouvelle Sophie à Cannes, épisode 1. Entre Rastignac et Madame Bovary, il y a Sophie (Figaro Madame).

    1990. Mon premier Festival de Cannes

    Je suis amoureuse de Sylvain depuis deux mois.

    Il veut bien me voir de temps en temps, mais pas pendant le Festival de Cannes. Je pars donc me faire consoler chez ma mère. À Monaco. Du coup, je vais faire un tour à Cannes, et fais une entrée remarquée dans le bureau de Sylvain au Carlton, lunettes noires, foulard assorti à mon rouge à lèvres, talons de dix. Je ne sais pas si c’est à cause du playboy bronzé en Porsche qui m’accompagne, mais Sylvain devient subitement très disponible, et me propose de rester dormir avec lui.

    J’ai gagné son cœur et des places au balcon.

    Mon deuxième festival

    Je dis à Sylvain que je ne veux plus jamais de places au balcon, mais en bas près des stars. Sylvain râle, mais comme maintenant il m’aime, il m’installe entre Madonna et Naomi.

    Mon troisième

    Je veux moi aussi faire comme tout le monde, être pressée, courir, avoir l’air débordé. J’organise un atterrissage en parachute des tortues Ninja sur la plage du Carlton. Je les promène aussi sur la croisette en roadster Mercedes framboise et leur fais monter les marches du film Boyz’n the Hood pour voler la vedette aux stars blacks venus de LA soutenir John Singleton. Le distributeur du film est furieux, Sylvain aussi. Je m’en fous, j’ai obtenu la Une du journal télé.

    Mon quatrième

    Je ne veux plus travailler à Cannes, je préfère m’amuser.

    Sylvain a maintenant cinq talkie, trois portables et cent passes autour du cou.

    Je l’appelle toutes les cinq minutes.

    – Nathalie voudrait une invit, Séverine aussi, et Mélanie, cinq. Tu me les déposes à l’hôtel ? Tu nous envoies aussi une limousine pour aller au ciné ? C’est leur première fois, ça les fera marrer.

    – Tu crois que je n’ai que ça à faire Sophie ? Je suis avec Stallone sur le toit d’une voiture, ce con a voulu se promener sur la croisette, on a été assailli par la foule.

    – Bon quand tu auras fini de faire le cacou, tu m’apporteras aussi des tee-shirts et des casquettes Cliffhanger pour mon plagiste du Gray d’Albion ?

    Mon cinquième

    Je suis dans une Mercedes assise à côté d’un Américain et de son épouse. Je décide de mener la conversation.

    – Hi ! I’m Sophie. You are family of Bruce ?

    – No.

    – You work with him ?

    – No.

    – What are you doing in this car so ?

    – We want to go to restaurant Colombe d’Or.

    Sylvain et ses gardes du corps ont été si pressés de faire sortir Bruce Willis de l’hôtel du Cap qu’ils ont embarqué dans le cortège officiel ce couple de retraités endiamantés qui attendaient sagement leur taxi pour aller dîner à Saint-Paul de Vence.

    Mon sixième

    Cheveux au vent, sur un yacht avec Sylvain, Sharon Stone, et une nuée d’Américains.

    – You are family of Sharon ? me demande un big Jim.

    – No.

    – You work with her ?

    – No.

    – What are you doing on this boat so ?

    – I just want you to drop me at Palm Beach.

    Mon septième

    Le star system a tellement déteint sur moi que je me suis foulée le bras en dormant. Avec mon plâtre, il suffit que je raconte mon anecdote pour déclencher l’hilarité. Un producteur hollywoodien adore pitcher ce qu’il m’est arrivé, ah ah ah she brokes her arm while sleeping ah ah ah ! Il veut même en faire un film !

    Mon huitième

    – Allo, monsieur le directeur de l’hôtel Gray d’Albion, je vous explique, d’ici une heure, je vais vous appeler pour vous commander un petit-déjeuner, ce sera en fait un code pour que vous appeliez les pompiers, je les ai déjà prévenus, ils attendent votre coup de téléphone pour venir chercher un ami qui a une crise de bouffées délirantes.

    – Dans mon hôtel ?

    – N’ayez pas peur, monsieur, il n’est pas dangereux, il adore seulement le cinéma.

    Deux heures plus tard, mon copain qui se prend pour le fils de John Lennon entouré de ses gardes du corps, exige qu’on le fasse sortir par la grande porte de l’hôtel.

    – Ça ne va pas se passer comme ça, je vais me plaindre à Sophie, elle dirige le Festival de Cannes.

    Mon neuvième

    – C’est qui monsieur Poulet ?

    – Un ami de Sophie, certainement un producteur important, répond Sylvain à son assistante.

    – Je le mets au carré cinéma ?

    – Ben oui.

    C’est ainsi que mon vendeur de poulets fermiers s’est retrouvé assis à côté d’Emmanuelle Béart et d’Harvey Keitel. L’été d’avant, ayant adoré ma casquette Men in Black, il m’avait dit que son rêve serait de monter les marches du Festival. Depuis, il s’est lancé dans l’organisation de soirées à Saint-Tropez.

    Mon dixième

    Allongée sur un matelas de la plage du Carlton, j’explique à une amie qui veut devenir comédienne le lexique codé de Cannes.

    Quand quelqu’un te dit :

    Tu es descendu où ?

    En vrai, ça veut dire:

    Dis-moi où tu en es dans ton ascension sociale ?

    Tu es venue toute seule ? :

    Je te sauterai bien.

    J’ai un projet qui pourrait t’intéresser :

    Idem précédent.

    Tu as la carte pour la boîte d’Albane ? :

    Je veux savoir si tu es has been ou pas ?

    Tu as des places pour le film de ce soir ? :

    Tu en as une pour moi ?

    Tu as des places en bas ou au balcon ? :

    Fais-tu partie des gens qui comptent ?

    Tu as une invit pour la soirée Canal ? :

    Est-ce que je peux te coller ?

    Tu as une invit pour le dîner de Martin Scorcese ? :

    N’oublie pas que je suis ton pote… mais que je t’oublierai une fois assis à table.

    Il faut absolument que l’on se voie :

    Je cherche du travail, je suis désespéré.

    On s’appelle à Paris ? :

    Lâche-moi ! De toute façon, je ne t’appellerai jamais, je n’ai pas ton numéro de téléphone.

    Tu es arrivé quand ? :

    Décidément, depuis dix ans que l’on se connaît, on a vraiment rien à se dire.

    Tu es dans un appartement ?

    Je peux te squatter ?

    Tu es au Carlton ? :

    Qui a pu l’inviter ?

    Tu es à l’hôtel du Cap ? :

    Merde, il a fait une meilleure année que moi.

    Tu vas où ? :

    Tu m’invites à déjeuner ?

    Tu as des projets en ce moment ? :

    J’essaye de te mettre mal à l’aise, car moi aussi je galère.

    Tu restes tout le festival ? :

    Merde, il est plus riche que moi ou bien il doit chercher du boulot.

    Mon onzième

    J’ai quitté Sylvain, mais on continue de se voir.

    Un ami producteur m’invite trois jours pour un projet de boulot. En arrivant à Cannes, je m’aperçois que c’est dans sa chambre. Je deviens folle.

    – Connard, je m’en fous, je reste, je vais faire mettre deux lits, et tu vas souffrir. Ah oui, et puis même si tu ne me sautes pas, tu as intérêt à m’emmener déjeuner et dîner partout avec toi.

    Le dernier soir, je dîne avec Sylvain qui ne digère pas.

    Mon douzième

    A force de se voir tous les jours, Sylvain et moi, sommes de nouveau ensemble. A Cannes, il s’occupe si bien de moi que Nicole Kidman a fini par se plaindre.

    Mon treizième

    Sylvain et moi, c’est vraiment fini. Depuis que j’ai monté ma société de production, il n’a pas supporté d’être devenu mon assistant.

    Sylvie Bourgeois
    Sylvie Bourgeois

    “Sophie fait son blog à Cannes” par Sylvie Bourgeois pour artsixmic

    *  parus chez Flammarion (Sophie à Cannes, Sophie au Flore et prochainement Sophie à Megève)

    Voir l’épisode 2